Les supplétifs de statut civil de droit commun
[!sommaire]Les membres de nos forces supplétives en Algérie avaient deux statuts différents, selon qu’ils étaient arabo-berbères et de statut civil de droit local, ou de souche européenne et de statut civil de droit commun. Les supplétifs de souche européenne, engagés sous le drapeau français, sont, comme, leurs semblables arabo-berbères, des civils qui ont épaulé l’armée française dans des missions civiles et des opérations militaires. Ils ont partagé avec eux les mêmes risques au péril de leur vie. Et quand ils ont quitté l’Algérie, ils ont tout perdu.
Le Conseil Constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, s’est prononcé par une décision du 4 février 2011 (décision n° 2010-93 QPC) sur la condition de nationalité et a estimé qu’elle était contraire au principe de l’égalité.
Le Conseil d’État s’est également prononcé dans le même sens (décision n° 342957 du 20 mars 2013) en annulant les dispositions du 1 du II de la circulaire du 30 juin 2010 relative à la prorogation des mesures prises en faveur des anciens membres des formations supplétives et assimilés ou victimes de la captivité en Algérie et de leurs familles en ce qu’elles réservent le bénéfice de l’allocation de reconnaissance aux personnes de statut civil de droit local. La décision du Conseil d’État a été publiée au Journal Officiel de la République Française le 24 mars 2013 :
JORF n° 0071 du 24 mars 2013 page 5015
Décision n° 342957 du 20 mars 2013 du Conseil d’ État statuant au contentieux
Cette condition relative au statut est toutefois réintroduite par les dispositions de l’article 52 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 et portant diverses dispositions concernant la défense et la sécurité nationale. Elle est, par ailleurs, rendue applicable aux demandes présentées avant son entrée en vigueur, et qui n’ont pas donné lieu à une décision de justice passée en force de chose jugée par le paragraphe II de l’article 52 précité.
Le Conseil Constitutionnel a censuré les dispositions du paragraphe II de l’article 52 par une décision n° 2015-522 QPC du 19 février 2016. Dans le considérant 11 de sa décision, le Conseil Constitutionnel a rappelé que « les dispositions législatives ouvrant le droit à l’allocation de reconnaissance aux anciens personnels des formations supplétives ayant servi en Algérie relevant du statut civil de droit commun sont restées en vigueur plus de 34 mois »
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Ainsi, pendant la période allant du 4 février 2011 (publication de la décision n° 2010-93 QPC du Conseil Constitutionnel du 4 février 2011) au 19 décembre 2013 (promulgation de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013), la condition tenant au statut civil de droit local détenu par l’ancien membre des formations supplétives ne pouvait être opposée aux anciens membres des formations supplétives ou assimilés de statut civil de droit commun qui demandaient le bénéfice de l’allocation de reconnaissance.
En conséquence, les demandes présentées par les anciens membres des formations supplétives ou assimilés de statut civil de droit commun au cours de la période allant du 4 février 2011 au 19 décembre 2013 devaient donner lieu à des décisions accordant le bénéfice de l’allocation de reconnaissance sous réserve que les conditions autres que celle du statut civil soient remplies.
Malheureusement, les services départementaux de l’Office National des Anciens Combattants et Victimes de Guerre (ONACVG), devant lesquels les demandes ont été déposées, et le Service Central des Rapatriés (SCR) n’ont donné aucune suite à ces demandes au cours de la période allant du 4 février 2011 au 19 décembre 2013 malgré les nombreux rappels téléphoniques et/ou les différents courriers émanant des personnes concernées. Ces différents services ont attendu la promulgation de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 pour rejeter les demandes des anciens membres des formations supplétives ou assimilés de statut civil de droit commun.
Bien que les décisions implicites de rejet (consécutivement au silence de l’administration) n’aient pas donné lieu à l’engagement d’une procédure contentieuse de la part des personnes concernées, il semble évident que les manœuvres de l’administration ont privé les anciens supplétifs de statut civil de droit commun du bénéfice de l’allocation de reconnaissance à laquelle ils avaient droit au cours de la période allant du 4 février 2011 au 19 décembre 2013.
L’empilement des décisions de justice conduit à définir trois périodes :
-* la première se termine le 4 février 2011
-* la seconde va du 4 février 2011 au 19 décembre 2013
-* la troisième démarre le 20 décembre 2013
Pour la 1ère et la 3ème période, les textes de loi sont clairs : la condition relative au statut civil s’impose (la personne qui demande l’allocation de reconnaissance doit relever du statut civil de droit local).
Pour la 2ème période, les choses sont elles aussi très claires : la condition relative au statut civil ne peut pas être opposée aux supplétifs de statut civil de droit commun qui ont déposé une première demande ou un renouvellement de demande d’allocation de reconnaissance et qui remplissent les conditions autres que celles du statut.
Cette analyse est partagée par Monsieur le Défenseur des droits (lettre du 27 juillet 2017 de Monsieur le Défenseur des droits concernant ce douloureux dossier) et par l’ensemble des Cabinets d’avocats interrogés à ce sujet.
380 est le nombre maximum de supplétifs de statut civil de droit commun ayant déposé une demande d’allocation de reconnaissance au cours des trente dernières années (depuis 1987). L’application du principe des périodes (avant le 4 février 2011, entre le 4 février 2011 et le 19 décembre 2013, après le 19 décembre 2013) réduit fortement le nombre de dossiers concernés par la mesure souhaitée : le nombre de dossiers valides (c’est à dire déposés entre le 4 février 2011 et le 19 décembre 2013 et satisfaisant à toutes les conditions autres que celle du statut civil) est égal à 74.
Comme l’indiquait Monsieur le Sénateur Jean-Baptiste LEMOYNE dans son rapport (voir note 1 ci-dessous) « Alors que le nombre de bénéficiaires de l’allocation de reconnaissance diminue d’environ 100 par an (- 98 entre 2016 et 2017), cette mesure d’équité et de justice pourrait être très facilement prise en charge ». Le nombre d’entrées serait équivalente au nombre de sorties lors de la mise en place de la mesure : la rente serait annuelle (3 663 euros par bénéficiaire au 1er janvier 2018).
Un amendement, portant le n° II-289, déposé par Monsieur le Sénateur Bruno GILLES (voir note 2 ci-dessous) a été défendu par Monsieur le Sénateur Alain MILON,
Président de la Commission des affaires sociales du Sénat, et adopté à l’unanimité le mercredi 6 décembre 2017 (à l’exception des membres du Groupe La République En Marche qui se sont abstenus) : cet amendement permettait enfin de trouver une solution au dossier des supplétifs de statut civil de droit commun en attribuant aux personnes concernées une allocation annuelle de 3 663 euros.
Le gouvernement en a décidé autrement en faisant voter par l’Assemblée Nationale en seconde lecture le vendredi 15 décembre 2017 un amendement par les Députés du Groupe La République En Marche annulant les effets de l’amendement de Monsieur le Sénateur Bruno GILLES.
L’injustice vis à vis des supplétifs de statut civil de droit commun continue donc à perdurer.
L’ensemble des Associations de Rapatriés souhaite que cette injustice disparaisse et que les dossiers des 74 supplétifs de statut civil de droit commun soient réglés définitivement.
Il y a une urgence absolue à trouver une solution du fait de l’âge et de l’état de santé des personnes concernées.
Ce n’est pas une mesure nouvelle qui est demandée par l’ensemble des Associations de Rapatriés : ce qui est demandé est simplement le respect de la loi par l’État vis à vis de personnes qui ont déposé en temps et en heure une demande et qui au cours de la période considérée (du 4 février 2011 au 19 décembre 2013) auraient dû obtenir satisfaction. Ce douloureux dossier pose une question fondamentale sur l’image donnée par l’État ou plus exactement par ceux qui le dirigent. En effet, le fait que l’État se soit comporté en « hors la loi » et continue de le faire dans ce dossier est scandaleux et révoltant : il y a en conséquence une détérioration de la relation citoyen – État qui se manifeste par une perte de la confiance que chacun d’entre-nous doit avoir vis à vis de l’État.
Serge AMORICH
Délégué national de la Fédération Nationale des Rapatriés (F N R)
pour les questions de retraite
NOTE 1 J.B. LEMOYNE, Avis n° 143 – Tome 1 (2016-2017), fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances pour 2017, déposé le 24 novembre 2016, p. 18
NOTE 2 B. GILLES, Avis n° 111 – Tome 1 (2017-2018), fait au nom de la Commission des affaires sociales sur le projet de loi de finances pour 2018, déposé le 23 novembre 2017, 87 pages