Comité de liaison (CLAN-R)

RENE MAYER : Les Juifs en Algérie et le "Décret Cremieux"

lundi 28 octobre 2013

En revanche, dans leur immense majorité, la réaction des Musulmans fut négative.

En effet, être régi par les lois civiles et politiques de la France signifiait renoncer au "statut personnel". Celui-ci autorisait la polygamie, la répudiation, le partage inégal de l’héritage entre fils et filles etc. La plupart s’y refusèrent, quitte à rester de simples sujets. Obstacle encore bien plus insurmontable, les Oulémas jugèrent que renoncer au statut personnel musulman équivalait à une répudiation de la charia. Une sorte d’abjuration.

Or, en pays musulman, l’apostasie est un crime qui relève de la peine de mort. Seules quelques centaines d’Algériens musulmans eurent l’audace de prendre ce risque et de demander la citoyenneté française. Quand, plus tard, un double collège sera instauré, ces audacieux voteront avec les Européens dans le premier collège. Les autres constitueront le second collège.

La réaction des Israélites fut exactement à l’opposé de celle de la majorité des Musulmans. Depuis qu’ils adhéraient aux principes énoncés par la décision du Grand Sanhédrin français de 1807, l’application des dispositions du Code civil napoléonien ne pouvait heurter leur sentiment religieux. Elle ne soulevait que des problèmes pratiques.

Leur seule objection portait sur l’obligation que leur faisait le Senatus Consulte d’avoir à solliciter individuellement la qualité de citoyen français. Ils revendiquaient que cette qualité n’ait plus besoin d’être "accordée", qu’elle fut automatique. Ils demandaient l’assimilation intégrale.

La guerre survint. L’Empereur et son armée furent, à Sedan, faits prisonniers par les Prussiens. Paris fut encerclé. Le gouvernement provisoire s’échappa de la capitale pour se réfugier à Tours. Gambetta (un "Républicain", un homme de gauche) y détenait les portefeuilles de l’Intérieur et de la Guerre. Adolphe Crémieux y devenait Garde des Sceaux.
Le 24 octobre 1870, parut le décret déclarant citoyens français tous les Israélites indigènes d’Algérie.

Sous les mêmes signatures et à sa suite dans le même journal officiel, trois autres décrets portaient "organisation administrative de l’Algérie". Ils créaient trois nouveaux départements français à la tête desquels étaient nommés des Préfets assistés des conseils généraux déjà existants. On accuse parfois les Pieds-noirs d’avoir "inventé" l’Algérie française. Si "invention" il y eut, elle date du 24 octobre 1870 et fut signée Gambetta, Crémieux, Glais-Bizois et Fourichon. Nul Pied-noir parmi eux.

Durant la Grande Guerre, les citoyens français d’Algérie, quelle que soit leur origine, et les Français-musulmans se battirent admirablement pour la France, subissant d’affreuses pertes et méritant des panoplies de décorations. A la fin de la guerre, il sembla choquant de maintenir une quelconque différence entre ceux qui s’étaient si vaillamment battus au coude à coude. C’est pourquoi, dès le 4 février 1919, parut une loi qui, utilisant le cadre juridique offert par l’article premier du Senatus Consulte

du 14 juillet 1865, donnait l’assurance que : « Tout indigène algérien obtiendra la qualité de citoyen français » s’il remplit certaines conditions. Les premières de ces conditions étaient assez générales. Il fallait être monogame ou célibataire et ne jamais avoir été condamné. Il fallait également,remplir au moins l’une des conditions suivantes :- avoir servi dans l’armée, ou être titulaire d’une décoration civile ou militaire, ou savoir lire et écrire en français, ou détenir un emploi : fermier, commerçant, fonctionnaire, élu ou toute autre fonction sédentaire, ou être fils d’un indigène ayant obtenu la citoyenneté française alors que le sujet était déjà adulte.

La somme de toutes ces catégories constituait un ensemble tellement large que les auteurs de ce texte ont certainement pensé que toute la population musulmane accéderait progressivement à la citoyenneté française. Malheureusement cette loi se référait au cadre du Senatus Consulte de 1865. Comme ce dernier, elle impliquait donc une renonciation au statut personnel musulman. Elle n’eut guère plus de succès que le texte initial de 1865.


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