Pourquoi nous ne commémorerons pas le 19 mars 1962. Marc Laffineur
Voila cinquante ans que la signature des accords d’Evian ouvrait la voie vers l’indépendance de l’Algérie, cinquante ans que le cessez-le-feu signifiait officiellement la fin des affrontements fratricides qui avaient ensanglanté le sol algérien huit ans durant.
On imagine quel fut le soulagement des soldats, appelés et rappelés, militaires de carrière et forces de l’ordre, qui pouvaient enfin retrouver leur famille et leur toit après avoir risqué le pire. Ils avaient servi avec bravoure et loyauté, ils avaient accompli leur devoir dans une guerre qui ne leur avait pas épargné l’horreur la plus crue. Beaucoup avaient vu leurs frères d’armes tomber, beaucoup d’autres avaient été blessés et mutilés. Ils pouvaient désormais espérer goûter à la paix et à la sérénité retrouvées.
On imagine cependant quelle fut la détresse de tous ceux pour qui les accords d’Evian et le cessez-le-feu signaient le début d’un drame personnel, familial, qui devait les précipiter vers une mort cruelle ou les contraindre à un déracinement odieux. Harkis, Européens d’Algérie, ils furent en effet des dizaines de milliers à disparaitre dans des conditions indicibles dans les semaines qui suivirent le 19 mars 1962. Ils furent des centaines de milliers d’autres à devoir s’arracher à ce sol qu’ils chérissaient tant, pour gagner une métropole que la plupart ne connaissaient pas et où tout était à refaire.
Aussi le 19 mars ne peut-il être une journée de commémoration nationale, car une commémoration nationale, c’est le rassemblement et l’unité de la Nation. Il y va du respect qui nous lie à toutes les victimes de cette page tragique, il y va de notre devoir de mémoire qui impose de ne blesser aucune sensibilité. S’il peut sembler naturel que certaines associations, pour qui le cessez-le-feu signifie la délivrance, souhaitent se réunir le 19 mars, cette date n’en reste pas moins source de divisions.
Peut-on concevoir que la France commémore un évènement qui coûta tant aux Harkis et Européens d’Algérie, à ces hommes qui l’ont indéfectiblement servie ? Ce serait abdiquer la décence et la dignité, ce serait oublier l’Histoire qui nous a faits. Et cela, aucun élu de la République, aucun représentant de l’État ne peut le cautionner.
C’est pourquoi la date du 5 décembre a été choisie comme journée nationale d’Hommage aux victimes de la guerre d’Algérie, des conflits du Maroc et de la Tunisie. Ce choix rappelons-le, est le fruit des réflexions d’une commission composée de représentants des principales associations patriotiques et présidée par un historien, le professeur Favier.
Et s’il s’est imposé à une très large majorité, c’est précisément parce que la date du 5 décembre ne heurte ni n’exclut personne.
Elle correspond à l’inauguration par le président Jacques Chirac, du Mémorial national de la guerre d’Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie.
D’autres la critiquent ou la refusent au prétexte qu’elle n’a pas de signification historique précise ? Mais c’est justement parce qu’elle n’a pas de signification historique précise qu’elle permet de rassembler dans un même hommage toutes les victimes, civiles et militaires, de ces années de violence et de haine.
Un demi-siècle après demeure l’impérieuse nécessité d’œuvrer pour une mémoire apaisée et partagée, une mémoire qui, véritablement, respecte nos morts.
Seule une action de mémoire fédératrice permettra que les blessures du passé cicatrisent tout à fait et que les victimes reçoivent enfin l’hommage qu’elles méritent.
C’est la responsabilité de la nation, et ce doit être l’engagement de chacun d’entre nous.
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