Comité de liaison (CLAN-R)

Oran, 5 juillet 1962. Un massacre oublié de Guillaume Zeller

mercredi 28 mars 2012

5 juillet 1962 : l’Algérie est officiellement indépendante. Mais à Oran, la liesse et les défilés de voitures chargés de musulmans vont se transformer en un véritable massacre. Il suffira d’un coup de feu, encore sujet à polémiques (a-t-il été tiré par l’OAS ou par le FLN ?), pour que la chasse aux pieds-noirs s’ouvre dans toute la ville.

On égorge, on tue au revolver ou à la mitraillette, on pénètre dans les magasins et les appartements. Ce massacre fera plusieurs centaines de morts et de disparus chez les civils européens, le bilan reste inconnu chez les musulmans.

Après huit années de conflit, d’attentats, de tueries et de pressions psychologiques intenses, l’ heure est venue de la vengeance. Ceux qui ne meurent pas lynchés sont conduits dans des centres d’exécutions de masse. Les 18 000 soldats français, cantonnés dans la ville, attendront de longues heures avant de recevoir enfin l’ordre d’intervenir.

Lorsqu’ils sortent enfin de leurs casernes, les cadavres jonchent la ville... Le massacre du 5 juillet aurait fait près de 700 victimes, dont plusieurs centaines de disparus qui n’ont jamais été recherchés. Aujourd’ hui, leurs familles n’espèrent plus mais souffrent toujours.

50 ans après ce drame, Guillaume Zeller livre enfin le récit inédit, impartial et précis des événements, en s’ appuyant sur des témoignages exclusifs de survivants, de leurs familles, de témoins, et sur des archives inédites, en particulier celles de l’ambassade de France en Algérie. Il révèle tous les tenants et les aboutissants de cette tragédie méconnue.


Recension du Général Maurice Faivre

Guillaume Zeller. Oran 5 juillet 1962, un massacre oublié.

Préface de Philippe Labro. Tallandier 2012, 224 pages, 16,90€.

Petit-fils d’un général connu, l’auteur a servi en 1996 aux archives orales du Service historique où il s’est initié à la recherche de sources bibliographiques et de témoins éminents. Il se réfère en particulier à Monneret, Jordi, Paya, Faivre , Ducos-Ader, Herly, Jeanneney.

l rappelle d’abord l’origine d’Oran la radieuse, après les implantations phéniciennes et romaine. Fondée en 903 par des marins musulmans aux ordres des califes de Cordoue, elle recueille l’émigration de juifs espagnols, jusqu’à ce qu’en 1509 Isabelle la catholique ne prenne la ville. Occupée en janvier 1831 par le colonel de Damrémont, la ville connaît un développement prodigieux, passant de 2.750 à 433.000 habitants (dont 220.000 musulmans) en 1950 ; c’est alors un mélange d’ethnies qui pratiquent le vivre ensemble comme l’a montré JP Lledo.

Troublée en 1949 par le hold-up de la poste, la ville n’est pas un des points forts de la rébellion, jusqu’aux exactions exercées par Boussouf, chef de la wilaya 5 agissant du Maroc ; le 14° RCP, les harkis, les autodéfenses et les unités territoriales préservent la ville de la violence ; Oran participe au sursaut du 13 mai, puis bénéficie des succès du plan Challe sous la direction du général Gambiez ; les katibas d’Oranie sont éliminées, et le colonel Lotfi est tué en mars 1960.

Le changement de la politique gaulliste provoque la révolte des ultras, à Mostaganem puis à Oran en mars 1961. Des militants de l’OAS très actifs mettent la ville en état de siège, sous la direction nominale du général Jouhaud, concurrencé à l’occasion par Gardy et Argoud. Le général de Pouilly refuse de participer au putsch. La volonté de Jouhaud d’éviter les ratonnades n’est pas respectée. 1.100 attentats par explosifs, 109 attaques, des voitures piégées et des tirs au mortier font 137 morts dont 32 des forces de l’ordre.

Prenant le commandement du Corps d’armée après l’assassinat du général Ginestet, le général Katz engage les gendarmes mobiles contre la population ; il collabore avec Si Bakhti, représentant le FLN, qui riposte en faisant enlever des Européens (74 disparus d’avril à juin 1962). La violence redouble après le cessez-le-feu, les citernes BP sont incendiées. Enfin le colonel Dufour impose la fin des combats le 26 juin, et le retrait des commandos. Une cérémonie de réconciliation réunit Si Bakhti, l’évêque Lacaste et de nombreux notables le 30 juin.

Guillaume Zeller décrit dans le détail la chasse à l’homme qui se déroule le 5 juillet à partir de 11h15. Des coups de feu non localisés entraînent des meurtres en masse ; raflés dans leurs appartements, des dizaines d’hommes et de femmes sont emmenés au « petit lac » et lynchés par la populace ; certains sont vidés de leur sang dans des cliniques improvisées. Quelques musulmans sauvent la vie de leurs connaissances.

L’auteur énonce plusieurs hypothèses explicatives : - une opération montée par une bande de délinquants (Mouedenne Attou) - une manoeuvre du camp Boumediene-Ben Bella visant à déstabiliser le GPRA – un phénomène d’hystérie collective.

L’inertie du légaliste Katz, qui dispose de 6.000 gendarmes et policiers, et 18.000 militaires, est incompréhensible, il consigne les troupes et attend 14h20 pour faire intervenir les gendarmes mobiles. Certains officiers ont sauvé l’honneur , comme les capitaines Kheliff et Croguenec. Mais il n’y a pas eu d’assistance à personnes en danger de mort. Le bilan reste lourd et difficile à préciser, allant de 365 à 679 morts sans sépulture, selon les auteurs.

Ce remarquable travail d’historien met en évidence les carences de l’administration, qui a demandé des enquêtes sans user de rétorsion, et n’a pas mis en place les outils juridiques nécessaires pour apaiser le deuil des familles.

Maurice Faivre, le 24 mars 2012.


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