Comité de liaison (CLAN-R)

"Les folles de Mars"- 26 mars 1962

lundi 23 février 2009

Le 20 Novembre 2008, Madame Simone Gautier écrivait au Président de la République, Monsieur Sarkozy :

Cannes le 20 novembre 2008

Monsieur le président de la République

Palais de l’Elysée

55 rue du Faubourg Saint Honoré

75 018 Paris

Monsieur le Président,

Ils ont été massacrés au Plateau des Glières et dans toutes les rues, tout autour, ce lundi 26 mars 1962. Et puis on a les mélangés, chairs éclatées, aux blessés, dans les camions déjà là, tout prêts, à les attendre, pour les jeter en vrac, dénudés, à la morgue, où il a fallu les chercher.

Et puis on a chassé leurs familles, pour les mettre à la hâte, pendant le couvre-feu, dans une boîte, avec seulement un nom sur le couvercle, fermé, scellé. Ils n’ont pas eu droit aux larmes de ceux qui les aimaient, au denier baiser, à la dernière prière, à la dernière fleur pour honorer leur mémoire et faire vivre leur souvenir.

Ils n’ont eu droit à aucun rituel, afin qu’ils prennent leurs places de morts, pour que la séparation puisse se faire, pour qu’un deuil soit possible pour ceux laissés vivants, plongés dans une détresse infinie. Nous n’avons pas eu le droit de vivre l’irréductibilité de leur perte, le renoncement définitif à l’aimé. Ce deuil impossible fait qu’ils n’en finissent plus de mourir une deuxième fois.

Et puis on a dispersé toutes ces boîtes des morts dans tous les dépositoires de la ville, chacun retrouvant le sien sur convocation. Mais personne ne sait si, celui qui est dans la terre, celui qui est au fond du trou hâtivement creusé, personne ne sait si celui-là, c’est bien le sien. Et puis, impuissants à les protéger de la mort venue du drapeau tricolore, il a fallu mettre leurs enfants à l’abri de l’abandon et des égorgeurs. Comment aurions-nous pu, sinon, chercher l’exil ?

Alors il nous reste notre communauté pour partager la douleur, il nous reste une statue de la Vierge pour prier ensemble, des plaques funéraires pour graver leur nom, pour leur dire les vivants et les morts et le renoncement, il nous reste des dates pour nous souvenir et nous rendre tous ensemble à nos rendez-vous d’amour et de piété, il nous reste une stèle pour y déposer des fleurs, pour les honorer, des gerbes de fleurs qui nous rendent notre humanité et nous apporte un peu de spiritualité et d’apaisement.

Bien sûr nos morts sont invisibles mais ils sont là avec nous, invisibles mais présents et les gerbes de fleurs que nos mains déposent pieusement devant chaque stèle, celle que nous avons pu obtenir dans un petit cimetière, leur disent que nous sommes heureux de les avoir connus, aimés et respectés.

Nous savons que les archives du 26 mars 1962 doivent rester encore soixante ans sous la chape de béton du secret d’Etat, dans la solitude glacée de celui qui sait. Nous serons tous deux morts, Monsieur le Président et mes enfants aussi et les archives que l’on découvrira seront vides, car déjà les chercheurs donnent l’alerte.

Alors il nous reste la Sainte Vierge de Théoule, le Mur des Disparus de Perpignan, la stèle de Béziers, le pèlerinage de Santa Cruz …, et puis il y avait la stèle de Marignane, dans un petit coin de cimetière. Pendant la nuit, j’allais dire pendant le couvre-feu, cette stèle a été détruite sur ordre du maire de la ville.

Alors comme ils n’en finissent pas de mourir pour la deuxième fois, et que cela devient insupportable pour ces vivants-là, on les a déterrés, pour les jeter au charnier, pour que leur mémoire soit rapidement anéantie, définitivement éradiquée, pour qu’ils n’aient jamais existés. Mais si le 26 mars 1962 n’a jamais existé pour la France et doit être jeté dans le charnier avec eux, ils ont, pourtant et à jamais, marqué notre chair et notre âme.

Nos morts ont tout donné à la France et nous qui les avons perdus, avons reçu en héritage le devoir de mémoire, ce devoir de respecter et d’honorer leur souvenir, d’honorer nos morts pour le bien de nos enfants, pour leur transmettre ce que nous avons de plus profondément humain dans le respect de nos morts, pour que lors de chaque retrouvailles, de chaque anniversaire, les fleurs fraîches que nous déposons remplacent les fleurs fanées et qu’ainsi à leurs parents nos enfants survivront.

Dans ces petits coins de cimetières où nous nous retrouvons pour mêler nos souvenirs, nos prières, nos larmes et notre ferveur, les fleurs aussi doivent trouver leur place.
C’est ce que je vous demande.

Veuillez agréer, Monsieur le Président, mes salutations très respectueuses

Pour le collectif « Les Folles de Mars » - « Alger 26 mars 1962 »

Simone GAUTIER

14 avenue de France

06400 Cannes

www.alger26mars1962.fr

« Je souhaite que les victimes innocentes de cette guerre, jusqu’à l’indépendance, et je pense tout particulièrement aux victimes du 26 mars, se voient reconnaître la qualité de mort pour la France et que leur nom figurent sur une stèle officielle afin que personne n’oublie ces épisodes douloureux ».

Nicolas SARKOZY

Réunion des responsables des Associations nationales pieds-noirs – 13 avril 2007.

Monsieur le Président Sarkozy a répondu, par un courrier daté du 16 janvier 2009 :

Madame,

Vous avez dans une lettre poignante appelé mon attention sur les femmes et les hommes qui sont tombés à Alger, rue d’Isly, le 26 mars 1962.

Je m’associe à votre douleur et à celle de tous ceux qui ont perdu un être cher, lors de cette journée tragique.

Les morts que vous commémorezfont partie des trop nombreuses victimes civilesd’un conflit cruel et fratricide. Ils ont leur place dans la communauté nationale.

Je vous assure aujourd’hui de toute ma compassion et vous prie de croire que mes pensées sont pour toutes les victimes innocentes du conflit, sans exclusive.

Nicolas Sarkozy.


Portfolio

Réponse de M. Sarkozy

Documents joints

Lettre à M. Sarkozy

23 février 2009
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