Comité de liaison (CLAN-R)

Général Meyer, pour l’honneur des harkis- (Article du Figaro Magazine)

lundi 22 février 2021

Fin de la Guerre d Algérie :
des militaires face à un choix cornélien

Nous nous réjouissons de ce bel article dans le Figaro Magazine rendant un hommage bien mérité à notre ami le Général Meyer qui fut l’un des officiers que l’on peut qualifier de "Juste " car il a sauvé et exfiltré "ses" Harkis et leurs familles voués à une mort certaine en Algérie.

Ce fut un acte de grand courage à cette époque. Toutes les années qui suivirent cette déchirure il a été l’écoute des Harkis et a eu à cœur de transmettre cette mémoire douloureuse.

D’autres officiers, sous officiers ou simples soldats, ont également préféré l’Honneur au strict respect d’ordres cruels et contestables.
Ils ont ainsi pu sauver des Harkis de leurs unités et leurs familles.

Ils furent plusieurs centaines, pas tous connus, aucune étude historique exhaustive n’ayant été faite, d’autant plus que ne pas respecter les ordres d’abandon n’incitait pas les militaires concernés à faire eux-mêmes une grande publicité de leurs actions de sauvetage, strictement interdites.

Ce fut le cas en particuliers de responsables de SAS, de chefs de commandos de chasse ou de Harka, et aussi d’officiers de marine (parachutistes, infanterie, fusillers-marins, et ceux qui mirent à disposition leurs navires pour les évacuations).

Ce fut le cas également de ces quelques militaires qui bravèrent les ordres de non intervention pour porter secours à des civils Pieds-Noirs menacés de mort ou d’enlèvements, comme à Oran le 5 juillet 1962, tels le lieutenant Rabah Khelif et 3 autres officiers.

Honneur à tous ces hommes, connus ou inconnus.

N’oublions pas certains militaires qui n’ont pas eu la possibilité de protéger les Harkis et les Pieds-Noirs menacés, car ils avaient été déjà été mutés hors d’Algérie ou sanctionnés voire emprisonnés pour des prises de position illégales, toujours au nom de l’honneur et de la parole donnée. Il en est ainsi par exemple du commandant Helie Denoix de Saint-Marc ou d’autres soldats dits perdus dont certains ont payé leur engagement de leur liberté voire de leur vie.

Gilles Bonnier

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FIGARO MAGAZINE du 19 02 2021


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Général Meyer, pour l’honneur des harkis

RENCONTRE - Le général de brigade François Meyer, l’un des rares officiers à être rentré d’Algérie avec ses harkis et leurs familles, vient d’être élevé, à 87 ans, à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction française. Nous avons rencontré cet homme qui a fait l’impossible pour tenir sa promesse.
Par Cyril Hofstein

Publié le 19/02/2021

« Je crois avoir connu une guerre dont la réalité échappe encore à de nombreux Français, une guerre civile d’une violence extrême entre Algériens au moment de la décolonisation », raconte le général Meyer. olivier coret/ divergence

Sur la commode, quelques souvenirs brillent dans la lumière grise de l’hiver : son épée, des médailles et ses fanions de régiments, dont celui du commando Griffon qu’il a créé en 1960 pendant la guerre d’Algérie pour mener des actions ciblées contre l’Armée de libération nationale (ALN).

Chez le général de brigade François Meyer qui, à 87 ans, vient d’être élevé à la dignité de grand-croix de la Légion d’honneur, la plus haute distinction française, l’Histoire se lit sur les murs. Accroché sous un portrait de chevau-léger, un sabre de hussard d’époque révolutionnaire nous emporte dans la campagne de 1792 et les premières batailles du jeune Bonaparte.

Un peu partout, minutieusement pliés, des foulards de soie imprimés aux couleurs de la cavalerie se tressent avec des couvertures berbères et des tapis tissés par des femmes d’Oranie. Plus loin, un hausse-col d’officier d’infanterie ayant appartenu à un aïeul, parti à Sébastopol se battre en Crimée contre la Russie du tsar Alexandre II, sort brièvement de l’oubli une bataille qui a embrasé l’Europe sous le second Empire.

Dans la bibliothèque, des dizaines de livres reliés de cuir racontent les victoires et les défaites de la France.

Des plaies toujours ouvertes

Mais ce matin, c’est en soulevant le couvercle en carton d’une boîte de chocolats, offerte à Noël par un descendant d’un des nombreux harkis qu’il a refusé d’abandonner en 1962, que le général Meyer revit « sa » guerre et les « évènements » d’Algérie. Ce conflit âpre, dur, complexe et toujours ouvert, qui a fait de lui l’un des rares officiers de l’armée de terre à avoir refusé de rentrer tant que ceux qui avaient servi sous ses ordres et leurs familles n’étaient pas à l’abri en métropole. Au risque de tout perdre.

Je précise que je n’ai jamais promis à mes soldats que la France resterait en Algérie. J’ai simplement assuré à mes harkis que je resterais avec eux jusqu’au dénouement
Général Meyer

« En réalité, je n’ai fait que respecter la parole que j’avais donnée à mes hommes, assure debout le général Meyer. C’était une question d’honneur et de responsabilité morale. Car je crois avoir connu une guerre dont la réalité échappe encore à de nombreux Français, une guerre civile d’une violence extrême entre Algériens au moment de la décolonisation. Je précise que je n’ai jamais promis à mes soldats que la France resterait en Algérie.

J’ai simplement assuré à mes harkis que je resterais avec eux jusqu’au dénouement. Comme l’a peut-être dit Christophe Colomb : « Il est de tradition, chez les amiraux de Castille, de choisir la mort plutôt que d’abandonner un seul de ses hommes. »

À lire aussi :Jean Sévillia : « Benjamin Stora a une vision partielle, donc partiale, de la guerre d’Algérie »

Né en 1933, François Meyer grandit à Versailles. Son père est ingénieur et officier dans l’armée de l’air. Marqué par la défaite de 1940, le jeune homme décide de servir son pays. Saint-Cyrien, sorti dans la cavalerie, il découvre l’Algérie en 1957 et parcourt à cheval des paysages qui l’ont immédiatement fasciné. « Ma passion pour le cheval m’a sans doute permis de mieux comprendre le mode de vie des nomades qui, à l’époque, faisaient battre le cœur de l’Algérie profonde, raconte-t-il.

Puis j’ai appris un peu l’arabe et fait connaissance avec le monde tribal, son sens profond des alliances, sa vocation à croire en l’honneur et son respect pour le courage. Jour après jour, j’ai aussi pris conscience que la France ne pouvait pas rester dans un pays qui ne voulait plus partager le même destin qu’elle. C’était perdu d’avance. »

Chef de commando de chasse

Mais, lieutenant au 23e régiment de spahis en Oranie, dans le nord-ouest algérien, il est avant tout officier français et entend le rester. Pendant quatre ans, de 1958 à 1962, il s’accroche et commande successivement deux harkas, en tant que chef de commando du secteur opérationnel de Géryville, puis à Bou Alam, toujours dans le Sud-Oranais. Des coups durs, il en a vécu et c’est peu dire. Son commando de chasse numéro 133, baptisé commando Griffon, est aussi craint que respecté par ceux qu’il traque dans les djebels.

> Dans frères d’armes, il y a « frère » et c’est pour lui tout ce qui compte

Au mois de janvier 1960, spahis et tirailleurs harkis ont pour mission de harceler les positions ennemies au cœur de la montagne. Et ils le font plutôt bien. Entre lui et ses « gars », c’est à la vie à la mort. Tout le monde va au feu sans distinction de grade. Les balles ne voient pas les galons. Il ne fait pas de détail entre les croyances et les convictions.

Dans frères d’armes, il y a « frère » et c’est pour lui tout ce qui compte. Mais peu à peu, le moral de ses hommes se fendille. Les négociations entre le gouvernement français et le FLN, commencées au mois de juin 1961, ne laissent plus beaucoup d’illusions aux harkis. Même si, sur le terrain, les coups qu’ils ont porté leur donne l’avantage, ils savent que les jeux sont faits.

Et lorsque les accords d’Évian sont signés entre les représentants du gouvernement de la République française et du gouvernement provisoire de la République algérienne (GPRA), le 18 mars 1962, leur univers s’écroule. Ils sont désarmés et leurs unités dissoutes.

> Au 23e régiment de spahis, en 1960, entouré par deux maréchaux des logis. olivier coret/ divergence

Considérés comme des « traîtres »

En un instant, les anciens supplétifs de l’armée française se retrouvent à la merci des chefs du Front de libération nationale (FLN), qui ne font aucun mystère sur le sort réservé à ceux qu’ils considèrent comme des « traîtres ».

Le 19 mars 1962, jour du cessez-le-feu, le contrôleur général aux armées Christian de Saint-Salvy dénombre 263.000 musulmans engagés du côté français en Algérie : 60.000 militaires réguliers, 153.000 supplétifs, dont 60.000 harkis combattants. Considérés comme de futurs Algériens du nouvel État indépendant, ces derniers doivent être rendus en priorité à la vie civile et renvoyés dans leur foyer.

La plupart n’avait pas rejoint l’armée française pour le simple attrait de la solde, mais tout simplement par admiration, par amour, par respect de la France et du sang versé pour elle
Général Meyer

Dans les armées qui plient bagages, c’est le flou total, et le plan de rapatriement promis par de Gaulle peine à se mettre en place. Certains officiers décident d’exfiltrer en douce vers la métropole leurs anciens supplétifs, mais Louis Joxe, ministre des Affaires algériennes, demande contre eux des « sanctions appropriées ». Pour François Meyer, qui vient de retrouver les corps suppliciés de plusieurs de ses anciens compagnons d’armes dans le djebel Alouat, c’est intolérable. Il ne les lâchera pas.

Alsacien marqué par l’exode et la défaite de 1940, patriote dans l’âme, il a la tête dure et rien ne le fera changer d’avis. « Le désarroi et le profond sentiment d’injustice ressenti par ces hommes lâchement livrés à eux-mêmes était terrible, se souvient François Meyer. La plupart n’avait pas rejoint l’armée française pour le simple attrait de la solde, mais tout simplement par admiration, par amour, par respect de la France et du sang versé pour elle. Comme ces milliers d’engagés volontaires qui se sont succédé de génération en génération au 3e régiment de tirailleurs algériens (3e RTA), chargeant baïonnette au canon à Reichshoffen, en 1870, tenant coûte que coûte à Verdun en 1916, luttant pour libérer l’Europe en Italie pendant la bataille du Garigliano en mai 1944, ou tombant en Indochine à Diên Biên Phu en 1954.

Si l’on ne parvient pas à ressentir leur conviction viscérale d’avoir été là quand on avait besoin d’eux, il est impossible de comprendre la nature même de leur identité et leur demande si légitime de reconnaissance, assure-t-il. Celle-là même qu’ils peinent encore et toujours à avoir aujourd’hui. »


> En opération dans le massif des Hassasnas, près de Saïda en 1959. olivier coret/ divergence

Départ pour la France

Avec son adjoint et les autres spahis de son commando, il commence d’abord par rassembler tous les membres de sa harka qui veulent partir pour la France et fait signer des engagements à la chaîne, car seuls ceux qui souhaitent rejoindre l’armée française et ceux considérés comme « réellement menacés » peuvent espérer voir de leurs yeux la rive occidentale de la Méditerranée. Puis il assure la protection des familles. Le 13 juin, il parvient à faire embarquer à Oran 200 harkis avec femmes et enfants. Puis une seconde opération est organisée.

« Le 5 juillet, alors que l’Algérie fête son indépendance, notre convoi composé d’une centaine de personnes tente de se frayer un chemin dans la foule hostile qui insulte les harkis assis dans les camions, raconte le général. À un barrage, des hommes de l’Armée de libération nationale tentent bien de nous arrêter : les mitrailleuses 12,7 de nos deux blindés légers que nous armons devant eux les incitent à nous laisser passer presque poliment. Mais une fois arrivés à Oran, nous découvrons que le Djebel-Dira, le bateau que nous attendions, a été bloqué à Marseille à cause d’une grève des dockers. »

Comme aucune caserne n’accepte de les héberger, Meyer se met alors à la recherche des commandos de marine avec lesquels il avait mené plusieurs opérations spéciales. « Ils m’avaient dit : “On ne te laissera jamais tomber.”

Mais les marins venaient de partir pour la France et c’est l’amiral, au nom de la parole donnée, qui nous a ouvert la citadelle de Mers el-Kébir. »

Pendant cinq jours, le lieutenant et ses harkis guettent l’arrivée du bateau qui les emporte finalement vers Marseille, où ils débarquent un 14 juillet. Tout un symbole. Cinq jours plus tard, le 19 juillet, une nouvelle directive demande au représentant de la France en Algérie de mettre un terme au rapatriement des supplétifs musulmans de l’armée française, alors même que l’épuration se poursuit.

Malgré la colère du général de Brébisson, le nouveau commandant supérieur en Algérie, horrifié par le sort réservé aux harkis, le gouvernement reste inflexible. Les transferts ne reprendront de nouveau qu’à partir du mois de septembre 1962. Entre-temps, près de 80.000 harkis, supplétifs, femmes, enfants et vieillards auront été massacrés.


> En 1961, le lieutenant François Meyer est chef du commando de chasse Griffon. olivier coret/ divergence

Un combat pour la mémoire

Pour les 350 personnes sauvées par François Meyer, une nouvelle vie commence dans les camps du Larzac et de Sissonne. Mais l’officier continue à parcourir le sud de la France à la recherche de villages qui pourraient leur offrir un avenir meilleur.

C’est en Lozère qu’il trouve ce qu’il cherche, sur le plateau du Roure où « ses harkis » se lancent dans l’exploitation agricole. Année après année, les liens tissés au combat ne se distendent pas et tandis qu’il poursuit une brillante carrière militaire en France et en Allemagne, Meyer continue à soutenir ses anciens compagnons d’armes. Il les défend dans la presse, dans des colloques, partout où il le peut et écrit, en mars 2005, un livre intitulé Pour l’honneur… avec les harkis *.

Malgré l’âge, l’oubli et une France qui se fracture, il continue aujourd’hui encore de se battre pour la reconnaissance de leur engagement pendant la guerre d’Algérie.

C’est une question d’honneur.

> Le général Meyer livre à présent un combat pour la mémoire. olivier coret/ divergence

* Pour l’honneur… avec les harkis. De 1958 à nos jours, CLD éditions.

Pour en savoir plus sur les justes de l’armée Française, ouvrez ce lien


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