Comité de liaison (CLAN-R)

Echo de l’Oranie : Edito n° 377 Le Conseil constitutionnel aveuglé par le droit

lundi 11 juin 2018

On ne fait pas de bons livres avec de bons sentiments selon le propos prêté à André Gide, l’auteur des Nourritures terrestres. On ne fait pas toujours, non plus, de bonnes décisions de justice avec les grands principes du droit, fussent-ils de valeur constitutionnelle. C’est cette conclusion qu’il nous faut tirer de la récente décision du 8 février 2018 par laquelle le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les mots ‘’ de nationalité française’’ figurant à l’article 13 de la loi du 31 juillet 1963, modifié par l’article 12 de la loi du 26 décembre 1964.

Cet article 13 a ouvert un droit à pension aux personnes et à leurs ayants cause de nationalité française à la date de promulgation de la loi, soit au 31 juillet 1963. L’indemnisation ainsi créée était destinée aux victimes de dommages physiques résultant d’attentat ou d’acte de violence en relation avec les évènements survenus en Algérie entre le 31 octobre 1954 et le 29 septembre 1962 (1). En étaient toutefois exclus les dommages dus à une faute inexcusable de leurs victimes, de même que les personnes, ou leurs ayants cause, ayant participé à l’organisation ou à l’exécution de tels actes, ou encore ayant incité à les commettre.

Le même article censuré a prévu l’intervention de règlements d’administration publique pour fixer les règles de calcul de la pension à sa date d’entrée en jouissance ainsi que l’attribution d’allocations et avantages accessoires susceptibles d’y être rattachés.

Il s’agit, plus précisément, de décrets d’application devant définir : ‘’ les conditions dans lesquelles certaines personnes ne possédant pas la nationalité française pourront être admises au bénéfice des dispositions du présent article.’’ dispositions ignorées par la décision en cause et maintenues en vigueur sans que celle-ci les aient annulées, qui ouvrent également aux étrangers le droit à indemnisation.

En statuant comme il l’a fait, au grand dam de tous les Français d’Algérie, le Conseil constitutionnel a appliqué de stricte manière le principe d’égalité, solennellement affirmé ainsi dans la Déclaration des droits de 1789 : ‘’ La loi doit être la même pour tous soit qu’elle protège soit qu’elle punisse’’. Repris dans le Préambule de la Constitution de 1946 sous diverses formes, ce principe est invoqué fréquemment par les auteurs de saisines, comme ce fut le cas de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) qui a donné lieu à la décision dont nous mesurons ici l’effet indésirable.

(1) date de la passation des pouvoirs de l’Exécutif provisoire à l’Assemblée nationale algérienne

Edito N° 377- Echo de l’Oranie

Le motif principal de la déclaration d’inconstitutionnalité est ainsi rédigé : ‘’ le législateur ne pouvait, sans méconnaître le principe d’égalité, établir, au regard de l’objet de solidarité de la loi, une différence de traitement entre les victimes françaises et celles de nationalité étrangère résidant sur le territoire français au moment du dommage subi.’’

Et c’est sur la même motivation que le Conseil constitutionnel s’était précédemment appuyé dans sa décision du 23 mars 2016 par laquelle, saisi d’une QPC identique portant sur le même article 13 de la loi du 31 juillet 1963, il a déclaré contraires à la Constitution les termes : ‘’ à la date de la promulgation de la présente loi’’ termes précédés des mots les personnes‘’ de nationalité française’’, objet de l’annulation du 8 février 2016 que nous venons de rappeler. A deux reprises il a ainsi jugé, dans les mêmes termes et sur un même fondement juridique, que cette indemnisation, relevant de règlements d’administration publique à intervenir, était destinée aux victimes, ou à leurs ayant cause, sans distinction de nationalité.

En statuant de la sorte les mêmes auteurs, gardiens de la Constitution, ont considéré que la loi avait instauré entre les personnes concernées une différence de traitement qui n’était justifiée ni par une différence de situation, ni par l’objectif de solidarité poursuivi par le législateur. Ainsi, pour eux, le bénéfice de la solidarité nationale ne pouvait être limité aux seuls citoyens français mais devait s’étendre à toutes les victimes, ou leurs ayants cause.

Il n’en demeure pas moins que l’égalité devant la loi, érigée en grand principe du droit par le Conseil d’Etat et transposée au contrôle de constitutionalité par les 9 sages de la rue de Montpensier, a fait l’objet d’aménagements qui, en l’espèce, n’ont pas prévalus à leurs yeux.

Car, d’une part, par une décision des 30 et 31 octobre 1981 fondée sur ce principe ils ont déclaré ‘’qu’il ne fait pas obstacle à ce qu’à des situations différentes puissent être appliquées des règles différentes’’ et que ces règles différentes selon les personnes, ou catégories de personnes physiques ou morales, trouvent leur justification dans la différence de situation des intéressés au regard de l’objet poursuivi par la loi.

Ainsi, par exemple, en matière de liberté de la presse, le Conseil constitutionnel a admis que la législation soit moins protectrice du pluralisme pour les quotidiens régionaux que pour les quotidiens nationaux, regardés comme deux catégories de publications de caractère différent ( n° 84-181 DC des10 et 11 octobre 1984).

De même a-t-il considéré, en matière sociale, que les règles visant à limiter le cumul d’une rémunération d’activité et d’une pension de retraite puissent concerner uniquement les agents de l’Etat, ou des personnes morales de droit public (n°81-134 DC du 5 janvier 1982), qu’elles soient moins rigoureuses pour les personnes qui exercent à titre accessoire des activités littéraires ou scientifiques (n°83-156 DC du 28 mai 1983),ou ne s’appliquent pas aux professions libérales (n° 85-200 DC du 16 janvier 1986).


Et, d’autre part, le Conseil constitutionnel a admis, après les juges du Palais royal dont il s’inspire souvent, que l’égalité puisse céder devant des considérations d’intérêt général. Il a ainsi estimé que, sans méconnaître le principe d’égalité, le législateur avait pu exclure les banques au capital social appartenant à des non-résidents, bien qu’ayant le même statut juridique que les autres banques, mais dont la nationalisation aurait compromis l’intérêt général attaché aux objectifs poursuivis par la loi (n°82-131 DC du 16 janvier 1982).

En considérant que les personnes indemnisables visées par la loi du 31 juillet 1963 étaient toutes placées dans la même situation le juge constitutionnel n’a fait aucune différence entre les victimes d’attentat ou d’acte de violence, y incluant celles qui avaient pu prendre part au combat livré de toutes les manières possibles, à commencer par le terrorisme, contre la France et son armée. Mais, parce que le législateur de 1963 poursuivait un objectif de solidarité nationale, le droit à pension qu’il a créé ne pouvait viser que les attentats et actes de violence perpétrés contre des citoyens français, au nombre desquels les Harkis restés fidèles à la France et tous ceux qui n’ont pas opté pour la nationalité algérienne après l’indépendance de l’Algérie

Or les auteurs des QPC du 23 mars 2016 et du 8 février 2018, MM Chérif Y. et Abdelkader K. ce dernier blessé par balle en 1958, n’étaient pas recevables à prétendre au bénéfice de l’indemnisation prévue par la loi du 31 juillet 1963, dès lors qu’ils ne possédaient plus la nationalité française à la date d’entrée en vigueur de la loi et qu’ils ne remplissaient pas les conditions d’attribution fixées par ses décrets d’application pour les citoyens ne possédant pas la nationalité française.
Les décisions critiquées leur ouvrent pourtant cette voie.

Plus largement, elles ouvrent aussi le même droit à pension à ceux qui, ayant combattu par tous les moyens de 1954 à 1962 pour l’indépendance de l’Algérie, auraient subi dans leur combat contre la France des dommages corporels qu’ils voudraient faire reconnaître comme des attentats ou des actes de violence imputables aux forces françaises, ou à la résistance armée des Pieds-Noirs face à l’abandon de l’Algérie au FLN.

Comment ne pas réprouver ces décisions ?

Osons une transposition pour mieux voir leur portée :

Imaginons qu’au lendemain de la seconde Guerre mondiale, après la capitulation allemande, le Parlement français ait voté pareil texte de loi promulgué par le premier président de la IVème République, Vincent Auriol, ouvrant droit à pension au bénéfice de tout citoyen français victime d’attentat ou d’acte de violence en relation directe avec les faits de guerre qui se sont produits sur l’ensemble du territoire français pendant la période allant du 3 septembre 1939 au 8 mai 1945.


En vertu du principe d’égalité, tel que l’a mis en œuvre le Conseil constitutionnel, ce texte là n’aurait pu légalement s’appliquer aux seuls nationaux français mais, au regard d’une trop large appréciation portée sur son objet, aurait ouvert droit à indemnisation à toutes les personnes placées dans la même situation sur le territoire français, quelle que soit leur nationalité, sans exclure alors les soldats de la Wehrmacht victimes d’actes accomplis par l’armée de l’ombre de la Résistance.

Ainsi, en se prononçant comme il l’a fait sur le droit à pension résultant de la loi de 1963, le Conseil constitutionnel a donné à cette loi une interprétation excluant que l’intérêt général puisse justifier une différence de traitement entre les victimes, ou leurs ayants cause, alors même qu’elle n’excluait pas de son bénéfice les personnes ne possédant pas la nationalité française, dans les conditions prévues aux décrets d’application.
En refusant de reconnaître à son objet un caractère d’intérêt général, il n’a pas voulu non plus admettre qu’elle a été adoptée par les parlementaires dans un but de solidarité nationale visant principalement à soulager la détresse de leurs compatriotes victimes de ceux qui, dans le camp adverse, ont changé de citoyenneté tout en aspirant à bénéficier de cette solidarité nationale de laquelle ils se sont volontairement exclus !

Ces deux décisions indissociables, critiquables dans leur esprit, ont soulevé l’incom- préhension et la réprobation générales des Pieds-Noirs et Harkis qui considèrent légitimement qu’elles contribuent à entretenir dans l’opinion cette fâcheuse volonté de repentance, qui, malheureusement, anime encore trop de responsables politiques de notre pays et complait aux dirigeants algériens se refusant toujours à reconnaître leurs propres crimes au détriment de la paix des mémoires.

Dans une envolée juridique, Jean Rivero, éminent professeur de droit public, a comparé le principe d’égalité ‘’ à ces piliers de cathédrales qui évoquent la ligne du palmier, en un bouquet de nervures dont chacune supporte sa part de la voûte’’.

Reprenant l’image du palmier pour qualifier les deux décisions du Conseil constitutionnel, nous dirons qu’à la différence de l’arbre du voyageur elles ne montrent pas le chemin d’un avenir apaisé pour la paix des mémoires.

A nous qui souffrons toujours de la même incompréhension des dirigeants et des élus de la Nation, ces décisions rappellent malheureusement celle du 29 novembre 2012 par laquelle les 9 sages ont admis la constitutionnalité de la loi scélérate du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée du souvenir et du recueillement à la mémoire des victimes de la guerre d’Algérie*.

*cf : l’Echo de l’Oranie, mars-avril 2013 n°345 p.10

L’Echo de l’Oranie


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