Comité de liaison (CLAN-R)

Boualem Sansal par Denis Fadda

mercredi 28 octobre 2020

Boualem Sansal est un écrivain algérien mondialement reconnu ; ingénieur de formation, il a fréquenté l’Ecole nationale polytechnique d’Alger puis l’Ecole nationale supérieure des télécommunications de Paris avant de soutenir une thèse en sciences économiques.

Enseignant, chef d’entreprise, haut fonctionnaire au ministère de l’industrie algérien ; a priori, rien ne le destinait à devenir un écrivain. C’était sans compter son amitié fraternelle avec l’écrivain Rachid Mimouni qui ne cessait de l’inciter à prendre la plume ; son décès brutal a été le point de départ de son engagement en littérature.

Rachid Mimouni disparaît en 1995, il commence à écrire en 1997et publie Le serment des Barbares ; pour un coup d’essai, c’est un coup de maître ; il obtient le prix du premier roman et le prix Tropiques de l’Agence française de développement.

D’autres romans suivent, des essais, des nouvelles : L’enfant fou de l’arbre creux, Dis-moi le Paradis, Harraga, Poste restante : Alger, Petit éloge de la Mémoire, Le Village de l’Allemand ou le journal des frères Schiller, Rue Darwin. Et il reçoit d’autres prix, le Prix Michel Dard, le Grand prix RTL-Lire, le Grand prix SGDL du roman, le Prix international Nessim Habif de l’Académie royale de langue et de littérature françaises de Belgique, le Prix Louis Guilloux, le Prix Roman News et, en 2011, le si prestigieux Prix de la Paix des libraires allemands. Ce prix le projette sur le tout devant de la scène ; il est dès lors sollicité de toutes parts pour parler de son œuvre, donner des conférences ou faire connaître ses avis. En 2013 l’Académie française lui décerne son grand prix de la francophonie ; en 2015 son roman 2084 lui vaut, cette fois, le Grand prix du roman de l’Académie française ; il publiera ensuite Le train d’Erlingen qui obtiendra un grand succès.

Le Prix de la paix des libraires allemands, prix international décerné lors de la Foire du livre de Francfort est attribué à des personnalités qui « par leur activité littéraire, scientifique et artistique, ont servi de manière significative la progression des idées pacifistes » ; c’est ce qu’il ne cesse de faire. Mais les voix qui prêchent la paix, le dialogue, la liberté ne sont pas toujours celles que l’on aime entendre.

Dans ses romans, il fait preuve d’une imagination romanesque devenue rare, une imagination foisonnante, un peu à la Albert Cohen. Mais une imagination qui puise dans la réalité et qui en dessine la complexité, en scrute les failles, en rend sensibles les abîmes. On le sait, le roman peut véhiculer les vérités bien plus que tout autre genre. Aussi, ses détracteurs les lisent avec la plus grande attention et même entre les lignes ; ils ne les comprennent pas toujours bien d’ailleurs mais ils critiquent, et quelquefois avec violence.

Mais rien ne peut l’arrêter car il a décidé une fois pour toutes d’être un homme libre, sachant que si l’écrivain est assujetti à une nécessité, c’est bien à la liberté. Lorsque certains s’étonnent de le voir prendre tant de risques, il lui arrive de leur répondre : « Est-ce que la tranquillité doit passer avant la liberté ? ».

Il y a chez lui le courage, mais il y a aussi une haute idée des devoirs de l’écrivain. En exergue duVillage de l’Allemand, évoquant une imaginaire correctrice des épreuves de l’ouvrage, il fait dire à son héros : « Elle dit qu’il y a [dans ce livre] des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m’en fiche, ce que j’avais à dire, je l’ai dit, point, et je signe » ; ce qui fait écho au célèbre aphorisme de René Char : « Tu ne peux pas te relire mais tu peux signer ».

Dans toutes ses œuvres, il aborde des thèmes que bien peu oseraient seulement mentionner. Ainsi, dans Le Village, encore, il évoque la tragédie de la shoah et ceux qui veulent tout en ignorer. En 2012 il a essuyé les critiques les plus virulentes pour s’être rendu à Jérusalem, au Festival international des écrivains. Il y a rencontré David Grossman, récipiendaire du prix de la paix un an avant lui. Evoquant cette rencontre au cours de laquelle ils ont parlé de paix, dans une ville « où cohabitent juifs et arabes, où les trois religions du Livre se partagent le cœur des hommes », il s’est demandé si cette rencontre ne pourrait pas être le début d’un vaste rassemblement d’écrivains pour la paix.

Malgré les risques encourus, jamais il n’a voulu quitter sa terre ; il aurait craint que s’en éloigner ne constitue une amputation, une trahison, un abandon. On n’abandonne pas sa mère et, plus que tout autre, il le sait.

Inévitablement, on le rapproche d’Albert Camus et je ne fais pas seulement référence, bien sûr, au fait que le quartier de Belcourt les a réunis : Camus rue de Lyon, lui rue Darwin à deux pas. D’ailleurs, dans Rue Darwin, il fait référence « à cet autre enfant de Belcourt (…) ressortissant de la rue de Lyon, le fils de la vieille Catherine, la voisine du quartier ».

Les rapprochent le talent, la hauteur de vue, la liberté d’esprit, la franchise, l’amour passionné de leur même terre, l’affection profonde pour tous ceux qui l’habitent, la tolérance, le goût du dialogue. S’ils avaient vécu dans la même époque, ils auraient certainement aimé tous deux se retrouver chez Charlot, la si célèbre librairie d’Alger ; à partir de là on peut tout imaginer. Le cours de l’histoire – qui sait ? – eût pu en être modifié.

Dans Rue Darwin encore, il y a une amorce d’échange entre eux deux. Son héros dit : « Ici tout commence par la fin, dans l’effroi et le grouillement de la misère. Vivre n’est que porter le deuil de soi. ’ Vivre, c’est ne pas se résigner’ avait dit Camus ». Et son héros d’ajouter : « Lui aussi était venu d’un pays lointain, un lieu sans passé ni avenir, Mondovi sur la carte, le bout du monde, et de même un jour il est parti vers un autre, nous laissant la terrible nouvelle d’un monde radicalement absurde ».


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