Plaidoyer pour l’indemnisation par Michel LEVY, président du G.N.P.I.
« Le référendum du 8 avril 1962 étant un acte du peuple souverain (article 3 de la constitution), il s’impose à
toutes les autorités publiques et donne aux déclarations gouvernementales du 19 mars 1962, une valeur
quasi‐constitutionnelle. La Nation savait exactement à quoi elle s’engageait en approuvant [ces] déclarations
gouvernementales. Il ne s’agit plus seulement ici de l’obligation générale de solidarité en face des calamités
publiques, laquelle n’oblige pas à une réparation intégrale ; il s’agit d’obligations, plus précises et plus strictes, à
une indemnisation juste. Ces obligations, la Nation les a souscrites le 8 avril 1962, le moment est venu de les
honorer ». Maurice Duverger, Professeur de droit, 2 novembre 1963
« II existe incontestablement un droit des Français d’Algérie ayant subi des pertes ou des spoliations à l’indemnisation
directe de celles‐ci par l’Etat français indépendamment de tout problème de participation de l’Etat
algérien à cette indemnisation... S’agissant d’une obligation juridique à réparation, et non de secours ou de
mesures de bienveillance, le quantum de la réparation est mesuré par l’équivalent économique de la perte
subie ». Georges Vedel, doyen de la Faculté de droit de Paris et al, 1er décembre 1964
Textes de base : Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, art. 17 ; Préambule de la Constitution de 1958 ; Déclaration
universelle des droits de l’homme de 1948 ; Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme de 1950
(protocole additionnel art. n°l) ; Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne de 2000 ; Loi du 26 décembre 1961 art.
4 ; Loi n°70‐632 du 15 juillet 1970 ; Loi n°78‐l du 21 janvier 1978 ; Loi n° 87‐549 du 16 juillet 1987.
La créance sur l’Etat des citoyens spoliés ou ayant tout perdu, réfugiés de territoires se trouvant antérieurement sous la souveraineté, le protectorat ou la tutelle de la France est fondée sur des principes fondamentaux inscrits dans la Constitution (droit de propriété, ‐ égalité de tous les Français devant les charges publiques) ; cette créance est encore plus directement liée, dans le cas des anciens départements français d’Algérie, aux engagements gouvernementaux français unilatéraux du 18 mars 1962 (improprement dits « Accords d’Evian ») consacrés par la loi référendaire du 13 avril 1962 laquelle en a fait de véritables obligations de droit interne en matière d’indemnisation des biens spoliés ou perdus. Jusqu’à présent l’Etat n’a jamais assumé ces obligations et s’est contenté de contributions très partielles, dites de « solidarité ».
Alors qu’une seule loi d’indemnisation aurait dû être promulguée immédiatement et suffire en quelques années à réparer les dommages, les trois lois successives de 1970, 1978 et 1987 ont été prises avec
retard et l’exécution de la dernière ne s’est achevée que trente cinq ans après les dépossessions, l’ensemble n’ayant en moyenne compensé que 22 % des pertes en principal, soit 10% à peine en réalité économique.
En effet, ces trois lois ont toutes été exorbitantes du droit commun : l’éligibilité au droit à l’indemnisation a été restreinte par toutes sortes d’exclusions violant le code civil (ventes à vil prix, français ayants
droit d’étrangers, personnes morales...), l’évaluation des biens spoliés ou perdus a été minorée d’un facteur 2 environ, à peine la moitié de l’érosion monétaire intervenue depuis a été prise en compte, les indemnités versées ont été elles‐mêmes inconstitutionnellement plafonnées, aggravant les discriminations de toute nature, non seulement entre métropolitains et « rapatriés », mais aussi entre les ayants droit de ces derniers.
Le différé (10 ans), puis l’émiettement et l’étalement dans le temps (25 ans) des indemnités versées, le tout combiné avec la totale absence de compensation de la privation de jouissance des biens spoliés ou perdus pendant 35 ans, ont ôté toute signification économique à cette indemnisation partielle dont le cumul budgétaire a été de 11,215 MdF (valeur 1962), à comparer à l’évaluation des biens par les experts des Rapatriés : 50 MdF (valeur 1962), ou à l’évaluation par l’Administration elle‐même : 27,635 MdF (valeur 1962).
Il s’est donc agi là d’un véritable déni de justice, d’autant moins acceptable pour les ménages rapatriés que les sociétés capitalistes métropolitaines ayant été spoliées d’actifs en Algérie ou Outre Mer ont pu, elles, par le biais de la législation comptable et fiscale, être indemnisées immédiatement à hauteur de 50% de leurs pertes, sans aucun plafonnement !
Ce déni de justice inadmissible en 1962 l’est encore plus aujourd’hui alors que la France s’est enrichie
depuis plus de trois fois et demie en termes réels. En conclusion, c’est la responsabilité et donc le devoir
de la France que d’assumer les conséquences matérielles de décisions de repli sur l’hexagone prises
dans la deuxième moitié du XXème siècle. Afin d’accélérer l’adoption d’une nouvelle loi d’indemnisation
avant que les adultes de 1962 ne soient tous décédés, les rapatriés accepteraient qu’elle s’inscrive dans
une enveloppe complémentaire ultime en principal équivalente à 10 MdF (1962), soit à peine la moitié de la créance restante.
Comité de Liaison des Associations Nationales de Rapatriés – Page 3 sur 14