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Monsieur Edouard Herriot reçoit une délégation Oranaise en 1956
Nous sommes d’autant plus heureux de vous recevoir, mes chers amis, que vous traversez des moments difficiles. Le monde est bouleversé par les forces mauvaises, par les forces du mal, et il y a des heures où nous nous demandons ce que va devenir non seulement notre Algérie, mais ce que vont devenir aussi une série de pays qui n’ont plus foi en la liberté. Un devoir d’union s’impose aux enfants de la France généreuse, et si c’est tout ce que nous pouvons faire, faisons-le du moins avec conscience. De tels événements nous commandent notre devoir, notre devoir qui est de nous unir entre nous, entre nous Français, entre nous, fils de cette France généreuse, qui n’a jamais hésité à donner et son argent, bien entendu, et même, le cas échéant, son sang pour les libertés opprimées.
Que ce sentiment si profond en nous, soit à la mesure des circonstances que nous traversons, à la mesure des événements et, pour notre Algérie, j’ose dire que je suis bien tranquille. J’ose dire que je n’ai pas cette inquiétude que j’ai vu troubler un certain nombre de mes compatriotes. L’Arabe a bien des défauts, comme nous, mais c’est un peuple chevaleresque, et il finira par se rendre compte qu’il a tout intérêt à être bien avec la France. Certes, nous avons encore beaucoup à faire là-bas, soit en matière de partage des terres, soit en matière d’écoles, soit en matière de travaux publics, mais nous le ferons, et nous le ferons avec le concours des musulmans, des musulmans pareils à ceux que, ce matin, je rencontrais dans cet hôtel de ville et dont je serrais la main avec tant d’émotion, parce que ce sont pour nous et pour moi des frères.
Je me rappelle, quand j’habitais ce douar d’Inkerman, ma mère me recommandait toujours d’être très gentil pour les Arabes, et le soir, quand on allait fermer la maison, ma mère me disait une expression qui m’est restée dans l’esprit ; elle me disait : " Va donc voir, si les portes restent ouvertes." Ma mère tenait, non pas à ce que les portes fussent fermées, mais à ce qu’elles fussent ouvertes, pour recevoir les Arabes de passage, et la nuit, bien souvent, couché dans mon petit lit de camp, j’entendais des Arabes qui venaient, entraient dans l’écurie, détachaient leurs montures et passaient là quelques heures, la nuit, pour se reposer, au moment d’un voyage de retour dans leur douar.
Eh bien ! mes chers amis, ces souvenirs me restent dans le cœur. Le souvenir de ma chère mère, le souvenir de mon père, c’était comme vous le savez peut-être, un officier de zouaves qui est mort parce qu’il a voulu rester à soigner ses soldats malades, ces souvenirs-là, dis-je, n’abandonnent jamais mon cœur.
Je ne regrette pas les terres que j’ai pu avoir là-bas. Que d’autres les cultivent, les fassent valoir, Français ou Arabes, cela m’est égal, mais je suis resté attaché de cœur à cette population arabe, à ces petits enfants avec lesquels j’ai joué et ils m’ont donné tant de joies ; ces souvenirs-là, que je ne les oublierai jamais.
Et voilà pourquoi, mes chers amis français, algériens ou musulmans d’Algérie, vous êtes reçus dans cette maison de l’hôtel de ville de Lyon avec une dilection tout à fait spéciale ; vous n’êtes pas, ici, reçus comme des étrangers avec lesquels on veut se montrer courtois, vous êtes reçus comme des frères, vous êtes reçus comme je le serais si j’allais chez vous, si j’allais même dans vos plus pauvres douars, dont j’ai connu autrefois la touchante hospitalité.
L’Algérie restera française, et alors moi qui vais disparaître un de ces jours parce que mon âge me l’ordonne, je sais que je ne vous verrai pas souvent rassemblés dans cet hôtel de ville, comme je vous y vois maintenant, mais, chaque fois que vous vous réunirez, il me semble que je serai là par la pensée, par le cœur, et vous pourrez vous dire :
Ici, nous avons été reçus un jour, à notre passage, par un Français qui nous aimait bien, par un Français qui croyait qu’aimer l’Algérie, c’est aimer la France ! "
Monsieur Edouard Herriot devait mourir peu après, le 26 mars 1957.