LE PIÈGE TENDU AUX BARRICADES DU 24 JANVIER...
LE PIÈGE TENDU AUX BARRICADES DU 24 JANVIER 1960
Bien entendu, le 24 janvier 1960, aucun de nous n’imaginait le piège diabolique qui allait se refermer sur les Algérois et pourtant, nous aurions déjà dû nous méfier. Le vendredi 22, je fus convoqué au Gouvernement Général et je me trouvais en face de Delouvrier et du Général Challe qui me demanda ce qui allait advenir de la manifestation du surlendemain. Il me fut aisé de répondre, car tel était mon sentiment, que si rien ne venait troubler la manifestation, il ne se passerait rien.
Aussitôt le Général Challe me rétorqua : « Je ne suis pas un provocateur. Les gendarmes ont reçu ordre de rester dans leurs casernements sauf si des manifestants voulaient s’emparer du Gouvernement Général. »
Un autre élément, plus sérieux, aurait dû me mettre la puce à l’oreille. Dans la matinée du dimanche 24 janvier, on m’apporta un exemplaire d’un journal peu connu a Alger, Juvénal. Un éditorial exhortait les Algérois au calme et leur affirmait qu’ils couraient, tête baissée, dans un piège. L’article n’était pas signé, il ne donnait aucune précision pour étayer son avertissement. Je négligeai donc cette information. Ce ne sera que beaucoup plus tard que j’apprendrai que le « tuyau » provenait d’une fuite dans l’entourage élyséen.
Un ami vint me dire que, la veille, des « C.R.S. frais » avaient débarqué à Maison-Blanche et une autre source vint confirmer et préciser que ces C.R.S. avaient été dirigés sur Maison-Carrée où ils avaient perçu des munitions, y compris pour les fusil-mitrailleurs.
- Henri Avelin brandissant le drapeau Français
Mais le 24 janvier, le temps était magnifique, le soleil brillait et la foule s’entassait sur le plateau des Glières, applaudissant les orateurs qui, du haut du balcon de la Fédération des Unités Territoriales, déversaient des propos qui, certes, n’étaient pas destinés à plaire au Chef de l’État.
Appelé par le Général Challe, Ortiz se vit offrir de partager avec lui son sandwich et entendit les mêmes propos qui m’avaient été tenus l’avant-veille.
A l’heure de l’anisette, la foule se clairsema et le sacro-saint repas dominical acheva de retirer une partie des spectateurs. L’attrait des plages en persuada beaucoup de choisir une autre distraction pour l’après-midi.
A 17 heures, Debrosse, de plus en plus nerveux, craint que le complot si minutieusement monté, ne vienne à lui échapper. Alors il fait regrouper les gendarmes sur l’esplanade du Gouvernement Général et, par un tirage au sort des plus douteux, décide que les gendarmes d’Alger chargeront en tête. Il lui reste à envoyer la 10ème D.P un ordre de mouvement précisant l’horaire et les itinéraires d’intervention.
Tout est prêt pour sa manœuvre, y compris deux fusils mitrailleurs servis par des C.R.S. et installés sur les murettes bordant l’esplanade du Gouvernement Général. Nous en reparlerons. Il reste à Debrosse de convoquer le Commissaire Trouja et de lui ordonner de faire les sommations réglementaires précédant l’ouverture du feu par les forces de l’ordre. Trouja est abasourdi. Il sait que la manifestation est en train de se disloquer et qu’il est inopportun de faire des sommations inutiles. Bien sûr, Trouja ne sait pas quelle participation on veut lui faire jouer mais, entrevoyant un mauvais coup, il s’éclipse.
Debrosse ne s’arrête pas à ces vétilles et, à 18 heures, il donne aux gendarmes l’ordre de débouler sur le plateau des Glières par les escaliers du Gouvernement Général qui encadrent le Monument aux morts.
Moment de stupeur chez les manifestants. Silence. Puis un coup de feu tiré d’on ne sait où par on ne sait qui et, instantanément, un feu intense se déclenche auquel répond le feu des manifestants, c’est-à-dire des Unités Territoriales (U.T) puisque ces deux mots sont à ce moment synonymes. Les fusils-mitrailleurs des C.R.S. tirent dans le dos des gendarmes et les ventres des manifestants. Les gendarmes refluent en désordre ne comprenant pas ce qui arrive et les paras n’arrivent pas…
De lui-même, le feu s’arrête. Sur la place, un grand silence. Même les oiseaux se sont tus et, sur les corps allongés passe un nuage bleuté qui s’accroche aux arbres… C’est alors que les paras arrivent sans avoir à reprendre à leur compte un combat qui a cessé puisqu’il n’y a plus ni gendarmes, ni manifestants.
Que s’est-il passé ? Je ne tarderai pas à le savoir par le commandant Lafargue faisant fonction de chef d’état-major auprès du général Gracieux, commandant la 10ème D.P. le chef d’état-major en titre est le colonel Meyer. Il est resté à la base opérationnelle s’employant à résoudre les menus problèmes laissés par les unités dans leur volte rapide vers Alger. « C’est donc à moi - me dit Lafargue - qu’on a remis le papier de Debrosse. Il ne me paraissait pas avoir d’urgence et on me rapportait que la manifestation s’étiolait. Par contre, j’avais sur place de de nombreuses questions à régler, alors j’ai mis le papier de Debrosse dans ma poche et je n’y ai plus pensé. Quand j’ai eu un instant de répit, j’ai lu l’ordre qui nous était donné mais il était trop tard et ni Dufour, ni Broizat ne pourraient être à 18 heures sur le plateau des Glières. »
Naturellement, cette affaire provoqua de violentes explications entre Debrosse et Lafargue, soit devant le général Crépin qui a remplacé Massu au Corps d’Armée d’Alger, soit même devant le Tribunal militaire au procès des Barricades. Ce fut même la violence des propos de Debrosse qui nous donna l’idée du complot, le vrai, celui dirigé contre les Algérois. En effet, sans lui, on n’aurait eu qu’à se féliciter de ce retard qui a pu sauver des vies.
Il serait temps maintenant d’en venir à la question des fusils-mitrailleurs des C.R.S.
Ce ne sera qu’au cours du vaste procès dit « des Barricades » que nous apprendrons l’existence indiscutable de ces deux armes et leur utilisation pendant la fusillade. C’est vers la moitié de ce si long procès que fut appelé à la barre le capitaine La Bourdonnais qui, après quelques propos sans importance, ajouta : « Au début de la fusillade, je suis sorti du Gouvernement Général sur le Forum et j’ai vu deux fusils-mitrailleurs tirer en direction de la Grande Poste. » L’instant fut dramatique. Nos juges, militaires pour les deux tiers d’entre-eux, bondirent de leurs sièges réclamant au témoin d’autres détails. Le bâtonnier Charpentier déclara solennellement :
« C’est maintenant que le vrai procès de l’Algérie Française va s’ouvrir. »
La Bourdonnais continua : « C’est même moi qui ai fait cesser le feu à l’un d’eux en mettant réglementairement ma main sur la ligne de mire. L’autre fusil-mitrailleur, c’est le colonel Godard qui s’en est occupé. »
De fait, nous nous sommes aperçus qu’aucun d’entre nous n’était poursuivi pour fusillade, sauf Ortiz, mais il était absent et seulement jugé par contumace. Il fallut toute la dialectique habile de l’avocat général Mongin pour convaincre le Président du Tribunal que cette question ne devait pas paraître aux débats puisque aucun des inculpés présents n’était en cause. Le commandant Debrosse put cesser d’éponger ses mains moites.
- Henri Avelin brandissant le drapeau Français
Le colonel Godard revint confirmer les dires de son adjoint et d’autres témoins parlèrent aussi de ces tirs de mitrailleuse, la question n’était plus à l’ordre du jour mais, comme pour la plupart de mes co-inculpés, la cause était entendue et ce d’autant plus que le colonel Godard mais aussi le général Jacquin avaient eu, tous deux, l’idée de recueillir aux pas de tir les étuis des balles tirées.
Ils provenaient tous des lots de munitions délivrés la veille au C.R.S.
Pour être complet, je dois ajouter que le 24 janvier dans la soirée, je fus convoqué, ainsi que mon adjoint, le commandant Grisoni, par le Général Challe. Il était dans son bureau et une crise de goutte, qui l’obligeait a rester en pantoufles, ne contribuait pas à calmer sa fureur.
Dès mon arrivée, il éructa : « On m’a fait un enfant dans le dos ! J’ai relevé le colonel Fonde de son commandement et je l’ai expédié en Métropole. Jusqu’à nouvel ordre, c’est le colonel Meyer qui assurera l’intérim. »
Ainsi, le Général Challe savait d’où venait ce mauvais coup. Ayant repris son calme, il ajouta :
« - Mais que veulent donc les Algérois ? »
« - Mon Général, ils veulent rester Français. Que le général De Gaulle l’affirme solennellement et tout rentrera dans l’ordre. »
« - Mais je vous affirme que le général De Gaulle ne veut pas autre chose. Si je ne le croyais pas, je n’aurais qu’à poser ma caquette sur la table et il n’y aurait plus de général De Gaulle. »
Je ne doutais pas un instant de la sincérité du général Challe. Il était de bonne foi mais un jour il comprendrait et poserait sa casquette. Ce jour-là, l’Algérie française sera déjà à l’agonie.
Il me reste à vous dire, pour conclure cet exposé, comment elle mourut.
Le complot des Barricades déjoué - au prix de 14 morts et 123 blessés chez les gendarmes et 6 morts et 24 blessés chez les manifestants - il n’en demeurait pas moins que les circonstances qui l’avait fait naître persistaient, même après la dissolution des Unités Territoriales. Plus que jamais, le général De Gaulle avait besoin de briser la symbiose Armée-population pour que devienne possible un mauvais coup. Ce sera la fusillade de la rue d’Isly. Ce jour-là, des éléments de tirailleurs ouvriront le feu sur une foule pacifique, non armée, et ce sera un carnage.
Alors, ce jour-là, les Algérois baisseront les bras. Ce jour-là sera tuée l’Algérie Française et elle sera tuée par des balles françaises !
Amis Pieds-Noirs, ne l’oubliez jamais !
Colonel Michel SAPIN-LIGNIERES
Commandant en chef des U.T. d’Alger et Parrain de VERITAS
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