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LA VIE D’UNE INSTITUTRICE EN ALGERIE
Après avoir quitté le Lycée Stéphane Gsell, en 1938, j’effectuais une scolarité de trois années à l’Ecole Primaire Supérieure de MASCARA. et j’optais pour l’ENSEIGNEMENT
En octobre 1941, j’avais 21 ans et j’habitais encore chez mes parents à TIARET. J’y reçus ma première nomination pour El OUSSUEKH dont je soupçonnais à peine l’existence.
Je vais essayer de situer géographiquement le village de mes débuts dans l’enseignement. El OUSSEUKH fut rebaptisé « LA FONTAINE » car c’était un point d’eau pour les troupeaux de moutons et de chameaux qui transhumaient vers la région montagneuse d’AFLOU. Ce village est situé sur al route de TIARET-AFLOU, en direction de LAGOUATH, coupant la steppe entre le Djebel NADOR et le Djebel AMOUR. Le CHÉLIF, le plus long des cours d’eau d’Algérie, prend sa source dans ce véritable château d’eau : le chott ECH-CHERGUI environne ce pays du mouton. Ces gros élevages motivent l’activité commerciale de ce petit centre. la population se composait essentiellement de commerçants musulmans et juifs originaires du M’ZAB. Quelques familles françaises et espagnoles d’éleveurs de moutons, quatre gendarmes, un garde-champêtre, le receveur des postes et l’institutrice constituaient, à cette époque, le petit noyau européen.
L’agglomération, au plan régulier, rappelait bien d’autres villages d’Algérie édifiés à la limite du désert. Les épiceries nombreuses, tenues par des sédentaires, offraient à l’acheteur résidant ou nomade : thé, café », sucre, semoule, dattes savoureuses de LAGOUATH, du savon, des vêtements rutilants pour les Mauresques et des tapis de haute laine confectionnés à AFLOU.
L’effectif scolaire s’élevait à une quarantaine d’enfants d’ethnies différents s’étendant du cours préparatoire au certificat d’études. Dans l’ensemble, cette palette variée, colorée, se montrait assez docile et appliquée, mais mes connaissances pédagogiques étaient plutôt floues et malgré ma bonne volonté, étais-je en peine d’enrichir valablement leurs connaissances. Ave le peu de documents possédés et ceux plus rares encore trouvés à mon arrivée (l’école était nouvelle), je passais mes soirées à essayer d’élaborer un emploi du temps pouvant occuper rationnellement divers cours, sans pouvoir compter sur les échanges ou consultations rituels entre collègues et directeur. J’étais donc « chargée d’école » et quelques courriers avec l’Inspecteur Primaire canalisèrent quelque peu mon éparpillement.
Avec beaucoup de travail, de bonne volonté réciproque, les cours se déroulèrent cahin-caha, pendant ce premier trimestre 1941.
Les vacances de Noël arrivèrent. Elles furent tellement glaciales et enneigées que la route TIARET-AFLOU étant coupée, je ne pus rejoindre ma famille. Mon cadeau de Noël, cette année-là, fut ma première rémunération s’élevant à 1 382,50 Francs anciens… bien sûr. Nous savons que les instituteurs étaient, et le sont encore,… les fonctionnaires les plus mal payés !
Après un hiver extrêmement rigoureux, l’année scolaire se déroula sans trop de problèmes et fut pour la petite institutrice non initiée que j’étais un édifiant et enrichissant démarrage dans l’enseignement.
Après mon mariage, à la rentrée 42, je sollicitais et obtins ma nomination pour MEDRISSA où était établie ma belle-famille.
MEDRISSA est située à peu près à la même latitude qu’El OUSSEUKH, mais au sud de FRENDA, sur al route de TIARET-MASCARA. Sa population se composait surtout de petits « colons » d’origine métropolitaine qui avaient été recasés dans ce coin d’Algérie où leur avait été attribuées des concessions de terres arides et pierreuses, à exploiter. Leur ténacité, leur volonté et surtout leur courage avaient eu raison de cette terre à céréales aux rendements faibles et fluctuants étant donné l’irrégularité du régime pluviométrique.
L’école jouxtait la mairie et le bureau de poste, sur al grande place nue du village, dans un bâtiment du style « qçour ». Elle se composait d’une grande classe et d’un appartement attenant qui, pour tout mobilier, possédait une mauvaise table, une chaise branlante, et surtout, à ma grande frayeur, un régiment de souris que je ne parvenais pas à exterminer, qui circulait librement, jour et nuit, et me tenait en état constant d’angoisse.
A MEDRISSA, l’effectif scolaire comptait une quarantaine d’enfants, mais majoritairement européens. Mon adoption par ces enfants fut instantanée. Ils s’échelonnaient eux aussi du cours préparatoire (5 ans) à la préparation à l’examen des bourses et au certificat de fin d’études (13 à 14 ans). Cette diversité de cours à assumer dans cette classe unique était affolante. Cependant l’intérêt, la gentillesse des familles, la sollicitude et la bonne volonté de ces enfants furent remarquablement encourageante.
Cette première année à MEDRISSA vit al réussite à l’examen des bourses, de deux candidats présentés… et je n’en fus pas peu fière ! L’application, le désir d’apprendre ont promu la réussite de leur vie pour la plupart d’entre eux ; j’ai pu m’en assurer car j’ai eu la joie émue d’en retrouver quelques-uns, au cours des réunions « médrissiennes » organisées en France.
La guerre sévissait en Europe. La vaste commune-mixte du Djebel NADOR, dirigée par un administrateur français, à TREZEL, se trouvait fort démunie et ne parvenait pas à assurer l’approvisionnement de l’école, en bois de chauffage… Le froid était grand, les chutes de neiges importantes et fréquentes, et le gros poêle antique qui trônait au milieu de la classe serait resté figé, glacé, si chaque matin, chaque élève n’était arrivé avec sa bûche sous le bras. Nous pûmes ainsi affronter les rigueurs de ces hivers glacés. la chaleur des étés naissants était tout aussi rigoureuse.
De 1942 à 1945, j’assumais ma lourde tâche d’enseignante en cédant parfois au découragement, en dépit de l’aide épistolaire de notre Inspecteur Primaire, Monsieur GIULANI qui résidait à MOSTAGANEM et ne pouvait, en cette période de difficultés de toutes sortes, se déplacer pour inspecter mon travail. Sa sympathie, ses conseils éclairés et paternels m’ont aidée à réaliser cette tâche d’enseignante dans laquelle je parvenais tout de même à m’installer.
Trois an nées scolaires se sont ainsi écoulées dans ce petit village à 250 kilomètres d’ORAN, bien éloigné de TIARET et sans moyen de locomotion. je souris encore en me souvenant d’un petit Gilles de cinq ans, aux cheveux roux, aux joues criblées de tâches de rousseur, aux yeux bleus pétillants d’espièglerie, qui à la sortie de la classe de onze heures, demandait à une grande fille du certificat de fin d’études si elle savait ce que voulait dire « aller au chloff ». Devant son ignorance, il lui lança : « bien sûr, tu ne sais pas parler anglais ». J’éclatais de rire à cette boutade. Ce petit malin, je l’ai retrouvé ainsi que la grande fille apostrophée.
Dans ces deux villages à la limite du désert, la pureté de l’air était vivifiante, la magnificence des levers et couchers de soleil imprégnait l’atmosphère de pureté, de calme grisant par leurs colorations tendres ou éclatantes. Ces cieux emplis de douceur, de limpidité dispensaient une sensation de bien-être. Ces mêmes cieux cléments et purs rougeoyaient parfois violemment et se chargeaient de sable fin, quand le simoun se levait et s’insinuait partout en dépit des portes et fenêtres fermées. Il émanait de cet étrange poudroiement insidieux, une invincible pression confinant à l’étouffement, tant le souffle de ce vent était brûlant.
La guerre finie vit le retour de mon mari et de notre établissement à TIARET où j’obtins un poste dans une première école de garçons dite « école nouvelle » car à l’enseignement primaire traditionnel s’ajoutaient des sections professionnelles. Cette école se situait dans un quartier où plus tard fut édifié le lycée. Classes très chargées, population exclusivement musulmane dans cette « école indigène ».
Peu après, je me retrouvais dans une école artisanale indigène aussi, mais de filles cette fois. je me souviens qu’à une rentrée, le père d’une de mes futures élèves, en me présentant sa fille, me dit : « elle est à toi, fais-en ce que tu veux, mais il faut qu’elle travaille bien ».
Séjour, ô combien mémorable dans cette école dirigée par une magistrale directrice qui, chaque fin d’année scolaire, organisait une kermesse, pour assurer al vente des ouvrages réalisés par les élèves des classes artisanales. Ces ouvrages étaient de pures merveilles ; tout un chacun s’étonnait devant des réalisation d’une telle perfection. Nous étions chargées d’assumer leur vente dans nos classes respectives aménagées pour cette exposition-vente, et ce tout au long de la journée avec une foule de visiteurs et acheteurs émerveillés.
Notre rigoureuse directrice, pour s’assurer notre total concours, nous enfermait à clé dans nos classes afin que cette vente ne connaisse pas la moindre interruption… mais c’était sans compter sur la fenêtre ouverte par laquelle se réalisaient les achats des amateurs ! Les colères colossales de cette sévère directrice lorsqu’elle prenait conscience de notre envol étaient spectaculaires… et nos fous rires s’avéraient intarissables !
Puis, toujours à TIARET, je fus affectée à une troisième école indigène de garçons, cette fois, située rue Bugeaud et qui comptait quatorze classe. L’une des classes que l’on appelait « de transition » me fut attribuée. Soixante deux petits Musulmans fréquentaient assidûment et témoignaient de la meilleure volonté d’assimiler notre enseignement qui, bien sûr, reposait sur l’acquisition du langage.
Nous formions une équipe unie, chaleureuse, maîtres européens et musulmans confondus. cette entente se manifestait par des « champagne-petits fours » pour toutes les promotions anniversaires, évènements heureux, fins de trimestre et d’année. Dans cette école, c’était la joie de vivre, le bonheur d’une franche camaraderie qui était sincère et très réciproque. Rien ne nous laissait présager le gros orage qui couvait !
A cette époque sévissait la teigne et le trachome, et dans nos attributions d’enseignants entrait l’obligation de donner les soins nécessaires. Chaque matin, nous devions badigeonner les crânes rasés et teigneux, d’huile de cade, noire, grasse, épaisse, à l’odeur très forte. Nous instillions des gouttes de collyre dans les yeux. Au cours de la matinée, la chaleur des crânes aidant, l’huile de cade se liquéfiait et dégoulinait dans le cou, sur les visages, les mains : aussi les cahiers étaient-ils maculés d’empreintes noires et grasses, et n’étaient –ils plus que des torchons nauséeux qui me faisaient frémir à la pensée d’une possible inspection et me désolaient en songeant à la préparation de ces soixante-deux cahiers qui occupait largement mes veillées. Le calcul passionnait ces enfants (juste retour aux sources !)
Cependant un jour, dans ce cours où nous n’avancions qu’à petits pas, et alors que nous arrivions au nombre 10, je demandais à un élève, après maintes explications, précisions et décompositions de me dire l’énumération de ces nombres. Bien jusqu’à 9, mais arrivé le 10, le petit élève me dit, à ma surprise :
« 7, 8, 9… 1 ». je lui rétorquai que ce n’était pas 1 mais 10.
« Non, Madame, c’est 1, tu m’as dit que Zéro c’est rien ». Son entêtement à ce propos fut tenace.
Les fêtes de l’AÏD-EL-KEBIR étaient prétextes à nous offrir de délicieuses pâtisseries confectionnées par les mamans, rangées dans une assiette reposant sur un torchon méticuleusement propre et noué aux quatre coins. nos petits élèves nous les offraient en se pavanant dans leurs vêtements flambant neuf.
A cette époque, j’assurais aussi des cours pour adultes, après ma journée de classe, afin de bénéficier d’un « petit plus » arrondissant mon maigre traitement. c’était émouvant de voir l’application de ces hommes, les uns jeunes, les autres presque des vieillards qui souhaitaient fort apprendre à lire et à écrire notre langue. Ils y apportaient beaucoup de persévérance, de courage, d’application et de fermeté ; et tous étaient d’une rare correction envers la jeune institutrice que j’étais alors.
dans cette même période, je préparais et subissais avec succès, en février, les épreuves écrites, puis en juin, orales de mon certificat d’Aptitudes professionnelles d’enseignante.
L’occupation ne manquait guère lorsque je rentrais chez moi ; providentiellement mes parents s’occupaient de mes deux filles, et cela me permettait le déploiement de mes activités.
je demeurais dans cette école de Tiaret, aux classes vétustes jusqu’en juin 1954. de ces années, j’ai gardé le souvenir de grandes amitiés, de compréhension avec des collègues animés du même du sacré et de directeurs chaleureux, dynamiques et bienveillants.
Par une chance extraordinaire et aussi avec l’aide de mon premier Inspecteur qui m’épaula, j’obtins le poste convoité d’adjointe à l’école Laverdet filles de MAISON CARRÉE. Changer de département n’était pas particulièrement aisé, en dépit de la Loi Roustan ;
Résider dans la banlieue d’ALGER, parcourir cette ville éclatante de blancheur, de lumière, d’évolution constante m’émerveillait ; Ce bel ALGER devait voir se dérouler des évènements historiques et plus sûrement dramatiques. J’étais comblée par la proximité de la MEDITERRANEE que nous vénérions avec ferveur, tant elle nous paraît plus belle, plus douce, plus bleue « du côté de chez nous ». La proximité de ses plages de sable fin après quatorze ans de Hauts Plateaux me faisait atteindre les limites de la félicité.
Ma nouvelle école faisait partie d’un énorme group scolaire : filles, garçons et cours complémentaire. je fus donc affectée à l’école de filles, en octobre 1954, et pour huit années.
Je découvrais une nouvelle ambiance, une autre qualité de vie et une population scolaire d’environ une cinquantaine d’enfants pas classe. Les petites Musulmanes se mêlaient sans problème, et ce jusqu’en mai 1962, aux fillettes européennes. Un cours élémentaire 1ère année me fut confié. Je le conservais pendant ces huit années et je me sentais devenir une « spécialiste » de cette classe. A la fin de l’année¸ je découvrais avec émerveillement le chemin parcouru, les progrès réalisés ; les acquisitions dans ce cours étaient spectaculaires.
Les dangers encourus dans cette énorme école, au centre d’une ville secouée par les attentats, étaient évidents, mais nous n’y pensions guère.
Une authentique distribution des prix aux élèves les plus brillantes nous réunissait, chaque année, dans la grande cour de récréation. pour nous aussi, cette journée comportait une remise des prix !... Nous croulions sous les fleurs et les cadeaux.
Comment ne pas être émue à la pensée d’avoir perdu el contact avec ces merveilleuses directrices et collègues avec lesquelles j’ai parcouru ces huit années !
C’est donc en juin 1962 que s’effectua l’affreuse cassure, qu’il fallut se sauver, abandonner cette attachante et inoubliable ALGERIE pour aborder une France qui visiblement ne nous accueillait pas chaleureusement. Le dépaysement moral, les meurtrissures du cœur, nous étreignaient affreusement… mais les enfants sont toujours des enfants pour les enseignants !
… Le périple de la vie d’une institutrice très « pied-noir » s’achève, après de multiples expériences enrichissantes, parfois cruelles, et avec des points de vue personnels sur la tâche qui nous a été confiée et que je crois avoir exécutée avec un maximum de cœur et d’enthousiasme.
Gilberte MENE- CHADÈS in Bulletin ALYSGO 1989