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ÉLOGE AU COMMANDANT HÉLIE DENOIX DE SAINT-MARC !
Vous avez dit et écrit que vous aviez vécu avec eux, les heures les plus fulgurantes de votre vie ! Eh bien, ils sont tous là, les petits, les sans-grade, les sans-nom, les oubliés de l’histoire ! Ceux dont les noms ne figureront jamais sur un monument aux morts ! Ceux qui montent à l’assaut sans hésitation, ceux qui se battent la peur au ventre, mais le courage dans le cœur, et ceux qui sont tombés sans un cri !
Ils ont bâti la gloire de la Légion et de notre armée avec leur peine, leur sueur et leur sang. Parmi eux, comment ne pas évoquer vos légionnaires du 1e REP, ceux des champs de braise et des brûlures de l’histoire, ceux qui, une nuit d’avril 1961, vous ont suivi d’un bloc parce que vous étiez leur chef !
Quand j’exerçai le commandement de la Légion étrangère, nous avons évoqué plusieurs fois ensemble cette aventure, votre sentiment et votre peine à l’égard de la Légion d’avoir entraîné des soldats étrangers dans une affaire française ; car la Légion, elle aussi, a payé le prix fort ! Avec les légionnaires, figurent aussi leurs chefs, vos camarades, vos frères d’armes, ceux de tous les combats, ceux du 2e BEP de Raffalli, du 1e REP de Jeanpierre, et puis, Hamacek, Caillaud et votre cher et fidèle ami, le Cdt Morin, camarade de lycée et compagnon de déportation. Ils ont partagé vos joies, vos peines, vos craintes, vos angoisses, vos désillusions et vos espérances.
Sont heureux aujourd’hui, les jeunes officiers, ceux de la 4e génération du feu, ceux qui ont longtemps monté la garde face au Pacte de Varsovie, puis, une fois la menace disparue, une fois la Guerre froide gagnée, sont repartis dans de nouvelles aventures, en opérations extérieures, imprégnés de vos écrits, de votre expérience, de vos interrogations, de vos encouragements et de vos messages d’espoir ; ils sont repartis dans des circonstances bien différentes, mais, comme vous, ils ont toujours cherché à servir de leur mieux, guidés par leur devoir et leur conscience !
Et puis, parmi ceux qui se réjouissent, il y a ceux qui, un jour dans leur vie, ont dit ‘‘non’’, fatigués des scènes d’horreur, des années d’occupation et des humiliations répétées. Contre toute logique, contre l’air du temps, contre l’attrait du confort et la sécurité du lendemain, ils ont dit non, et ils ont assumé leur décision en mettant leur peau au bout de leur choix ; dans ce long cortège, Antigone a montré le chemin, d’autres ont suivi et habitent encore ici, dans l’aile opposée des Invalides, celle d’Occident ; ce sont les Compagnons de la Libération, vos frères d’armes de la 2e Guerre Mondiale, venus de partout et de nulle part, et qui, comme vous ont dit non, quand ils ont vu la France envahie.
Se réjouit aujourd’hui avec vous la foule silencieuse de ceux qui ont connu la souffrance, dans leur corps, dans leur cœur ou leur âme ; il existe un lien mystérieux, invisible, profond, indélébile qui unit ceux qui ont souffert. La marque de la douleur vous confère cette qualité de savoir regarder la vie autrement, de relativiser les échecs, même importants, de rester conscients que tout bonheur est fragile, mais aussi de savoir apprécier les joies simples de la vie, le regard d’un enfant ou d’un petit-enfant, le sourire d’une femme, la fraternité d’armes des camarades, l’union des âmes des compagnons.
Vous rejoignent aujourd’hui dans l’honneur qui vous est rendu, ceux qui, comme vous, ont connu la prison, la prison qui prive de liberté, et surtout la prison qui humilie, isole, brise, rend fou, et détruit l’être dans le plus profond de son intimité ; comment ne pas évoquer ce mineur letton du camp de Langenstein, prisonnier anonyme et qui vous a sauvé la vie ?
Entre eux aussi, il existe un lien mystérieux : je me souviens de ce jour de septembre 1995, lorsque je vous ai accueilli au 2eREP à Calvi, je vous ai présenté le piquet d’honneur, et au cours de la revue, alors que vous veniez de vous entretenir avec plusieurs légionnaires, vous avez demandé, avec beaucoup de respect et de pudeur, à l’un d’eux : « Mais, si ce n’est pas indiscret, vous n’auriez pas connu la prison ? » Et, malgré son anonymat, il vous répondit que c’était bien le cas…