Comité de liaison (CLAN-R)

2020- Commémorations du 5 juillet à Béziers

mardi 14 juillet 2020

" Madame, Monsieur, Mes amis,

Chaque année, le 5 juillet est une souffrance, une brûlure. De ces brûlures, de ces souffrances qu’on cache au fond de soi, au fond de son enfance, au fond de sa mémoire hantée par des images qui finissent par prendre forme à force de vous avoir été racontées. Je n’étais pas à Oran ce 5 juillet 1962. Mes parents nous avaient envoyés, mes frères et moi, en métropole. Ils étaient inquiets pour nous. Ils avaient raison.

Ce jour-là, comme des centaines d’Européens, mon père a été arrêté par des hommes du FLN. Il s’en est sorti grâce à l’intervention d’un musulman qui le connaissait et qui l’a fait descendre du camion qui l’aurait conduit au Petit Lac de sinistre mémoire. D’autres n’ont pas eu sa chance. Ils sont morts ou portés disparus.

Pendant des années, les leurs ont espéré les revoir, ont tressailli chaque fois qu’on sonnait à leur porte, espérant un retour attendu, espéré, rêvé. Une torture, une nouvelle torture après celles subies à Oran ce 5 juillet.

La France a oublié les disparus d’Oran. La France qui se présente comme le pays des droits de l’homme, la France qui se mobilise pour des disparus un peu partout dans le monde, cette France n’a pas osé se regarder en face. De peur de froisser le nouveau pouvoir algérien, elle a nié, pendant des années, ce drame qui a bouleversé, anéanti des familles entières.

La France nous a abandonnés, nous a privés d’un pan de notre histoire. De cette histoire qui lui rappelle qu’une partie de son peuple – le peuple pied noir, le peuple harki – a été chassée de nos manuels scolaires, de notre mémoire nationale. Comme s’il fallait les cacher pour ne pas avoir à demander des comptes à ceux qui ont laissé faire, qui ont regardé ailleurs, qui ont demandé à leurs soldats – des soldats français - de ne pas intervenir.

Être ici, comme chaque année, c’est refuser que l’oubli, que le long, le lugubre manteau de l’oubli ne vienne faire disparaître, une seconde fois, ceux que les tueurs du FLN ont enlevés, torturés, lynchés, mutilés, égorgés, assassinés.

Combien sont-ils ces oubliés du massacre d’Oran ? Personne ne le sait exactement. Plusieurs centaines pour le moins. 700, 800 nous disent les historiens les plus scrupuleux. 700, 800 familles à jamais marquées, traumatisées, lacérées par le malheur et la peine, l’inconsolable peine de n’avoir jamais pu enterrer ses morts.
Le massacre du 5 juillet hante à jamais nos âmes couturées de cicatrices, percluses de chagrin. Il est en nous. Il est une partie de nous.

Le taire, le passer sous silence serait un abandon, une trahison, une forfaiture. Pour ceux qui sont morts ce jour-là, mais aussi pour leurs familles qui, souvent, ne se sont pas relevées des outrages subis.

Il ne faut pas, il ne faut plus pleurer nos morts. Il faut leur rendre hommage, les saluer, s’incliner devant eux. Les revendiquer, enseigner leur martyr à nos enfants, exiger qu’ils aient toute leur place dans notre « roman national ».

À l’heure de la dénonciation du « racisme colonial », il n’est pas inutile de rappeler, en gardant le 5 juillet 1962 en tête, que des exactions ont été aussi l’œuvre de ceux qu’on nous présente comme d’éternelles victimes. À Oran, ce jour-là, les abominations, les crimes étaient le fait des vainqueurs du jour. Et les vaincus, c’était nous.

Aujourd’hui, je pense à mon père. Comme beaucoup d’entre vous. Aujourd’hui, je pense à cette journée qu’il ne voulait pas évoquer. À cette journée qui était comme un adieu à son pays, comme une porte qui se refermait à jamais sur des années de bonheur.

Aujourd’hui, nous sommes ensemble dans cette ville qui est devenue la nôtre. Et avec vous, je regarde l’autre rive de la Méditerranée. Avec nostalgie, il faut bien le dire. Avec tristesse, en ce jour de deuil. Avec colère aussi devant la lâcheté de ceux censés nous protéger. Avec horreur face à la barbarie qui fut une fête pour ceux qui nous tuaient.

Aujourd’hui, je veux pardonner sans jamais oublier. Vive cette Algérie qui fut française et qui n’a aucune raison d’en avoir honte ! Et bien sûr, vive la France !"

Robert Ménard, maire de Béziers

Cérémonie hommage massacre d’Oran 5 juillet 1962


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