Comité de liaison (CLAN-R)

63 ème anniversaire du 26 mars 1962- Simone Gautier

jeudi 29 mai 2025

Mes enfants, eux, étaient Français.
Nous l’avons ramené dans son pays. Je ne sais plus comment je me suis retrouvée en Bretagne, chez ses parents, tout de suite après le 26 mars : tout était interdit à Alger.
Nous avons attendu son cercueil pendant cinq horribles jours, ce cercueil qui sillonait la France depuis on ne sait quel port d’arrivée. Je crois me souvenir que mon père avait tout acheté au marché noir. Il avait embarqué son cercueil à la sauvette, dans la nuit, dans le couvre-feu, sur le premier bateau, en partance pour la France, qui l’avait accepté ; cercueil que la loi, nous interdisait d’honorer. Il a été inhumé le 2 avril 1962, dans le petit cimetière d’Arzon, dont faisait partie Port Navalo.
C’est sur "la tombe du petit mousse" qui surplombe toute l’entrée du golfe du Morbihan, que nous avions échangé nos premiers serments, si romantiques, de ne jamais nous quitter et de mourir ensemble.
Je me suis enfermée dans 42 ans de silence. Je n’ai plus jamais parlé. A personne. J’ai trouvé refuge auprès de ceux qui étaient dans la peine.

Je les accuse, aujourd’hui encore, et demande repentance

Aujourd’hui, je peux témoigner de quelques souvenirs. Mes enfants ont grandi dans la douleur de la disparition incompréhensible, indicible, de leur père. Si aujourd’hui le temps n’est plus des malédictions et des désirs de vengeance, si l’héritage que je lisse à mes enfants est un héritage de douleur, ils sauront le transformer, le reprendre à leur compte et accomplir leur destin où ils le voudront et en être les maitres.
La fille de notre fille, notre petite fille, celle qui va avoir vingt deux ans, déjà, m’a rassurée :" Je viens de cette histoire, je l’aime, j’en suis fière et j’en prendrai soin."
Le temps des historiens est venu et leur travail de vérité et de mémoire m’est consolateur. D’autres se sont battus, d’autres se battent encore.
Mais pour moi, aujourd’hui, c’est toujours le temps des accusations. Je "les" accuse, car ils sont toujours là, d’assassinat, de meurtre prémédité sur ces pauvres gens et sur la personne de mon mari. Je demande repentance.
Hélas, aujourd’hui encore, le deuil de la tuerie du 26 mars 1962 est interdit : profanation de leur mémoire, sacrilège porté à leur humanité. Ils n’est finissent plus de mourir pour la deuxième fois. Comment cela se dit en français, en bon français :"la mère qui tue son fils"