Comité de liaison (CLAN-R)

Maurice Faivre. ALGERIE 1961, A LA CROISEE DES CHEMINS

vendredi 5 août 2011

Emission de Aurélie Luneau et Yvon Croisier, diffusée par France-Culture du 25 au 29 juillet 2011.

Dans la série des Grandes Traversées, les réalisateurs ont présenté pendant 5 jours 15 heures d’émission, comportant chaque matin trois séquences :

  • Extraits d’archives
  • Débat entre historiens
  • Documentaires,

suivis des commentaires de l’écrivain algérien Boualem Sansal.

L’abondance des témoignages recueillis illustre la volonté des réalisateurs de consulter tous les acteurs et toutes les victimes : Algériens pro-français, nationalistes, colons, membres de l’OAS, rapatriés, militaires appelés.

Nul ne l’emporte dans cette guerre des mémoires, et l’on peut estimer que la tendance générale est celle de l’apaisement. La convivialité d’autrefois, et le déracinement des pieds-noirs sont en particulier reconnus par leurs amis d’Algérie.

Rêvant sur le pont des soupirs, Aline pense qu’il est temps de tourner la page. Certains choix sont cependant contestables : un officier issu des FTP et un photographe communiste (contredit par son chef de corps) ne sont pas représentatifs de la majorité des cadres militaires et des soldats du contingent, dont les rapports sur le moral soulignent la disponibilité.

Le thème de la torture intervient à tout moment, alors que le terrorisme du FLN contre les musulmans (300 morts par mois en 1956) n’est pas évoqué. Les supplétifs sont sous-estimés. Des extraits de films sont présentés comme des témoignages objectifs, alors qu’il s’agit de fictions non vérifiées (Rotman) ou partisanes (Vauthier, Panigel, Tasma, Bouchareb, Charef). La réalisatrice prend pour une vérité établie la légende des 200 morts du 17 octobre (1).

Le mélange de la fiction et du témoignage, procédé coutumier des médias, n’est pas compatible avec la déontologie de l’historien.Les débats entre historiens, brièvement commentés ci-dessous, sont intéressants ; certains sont influencés par l’idéologie, libertaire pour certains, antiraciste et antimilitariste pour d’autres.

Face à Gilbert Meynier, qui expose comment le parti libérateur s’est transformé en dictature militaire et obscurantiste, Wassyla Tamzali relate l’évolution des grandes familles qui ont accepté la conquête et l’intégration, avant de retrouver une identité ethnique anti-féministe.

Maurice Vaïsse confirme sa thèse sur l’échec du putsch, tandis que l’américain Matthew Connelly reconnaît les ingérences américaines qui ont contribué à l’internationalisation du conflit, sans reprendre cependant les erreurs ponctuelles de sa thèse (2).

Alors que JC Jauffret souligne la supériorité numérique des Forces françaises, l’efficacité des barrages frontaliers et le rôle des réserves générales, Gérard Chaliand est impressionné par les succès des guérillas (avec des pertes surestimées) ; il estime que les réformes sont intervenues trop tard, et décrit la référence à la doctrine française de contre-insurrection, contestable en Argentine, mais justifiée dans les guerres asymétriques actuelles.

Rémy Porte n’a pas le temps d’exposer le concept de ralliement des cœurs et des esprits qui est à la base de cette doctrine politique (3).

Le thème de l’imaginaire de la guerre d’Algérie est abordé par Raphaëlle Branche, attachée à dénoncer la violence et les crimes de guerre des Français ; dans ses bandes dessinées, J.Fernandez décrit les rapports complexes des communautés et des religions, marqués par les traumatismes et la violence dans les deux camps ; il se garde à juste raison d’assimiler les critères du 19ème à ceux du 20ème siècle.

La transmission de l’histoire à l’opinion, et particulièrement aux scolaires, est traitée par Benoît Falaise qui montre les difficultés liées à la guerre des mémoires, au silence des parents et aux pressions de certains réseaux partisans ; peut-on enseigner une histoire impartiale aux enfants issus de l’immigration ?

Du côté algérien, Lydia Aït Saadi dénonce l’arabisation de l’enseignement et l’écriture de l’histoire imposée par le ministère des moudjahidines ; elle met en doute le mythe du peuple paysan rassemblé pour la Révolution. Tous deux sont partisans d’une désaliénisation de l’histoire(4).

Boualem Sansal intervient dans toutes les séquences de l’émission. Ayant 10 ans en 1961, il se souvient des évènements spectaculaires de l’époque, des manifestations urbaines, du prestige des parachutistes, de la modernité de la colonisation et des occasions manquées ; de la population partagée, ralliée par la terreur à une indépendance qui était inéluctable, mais a été ratée. Il estime que les objectifs stratégiques des deux camps étaient confus, et fumeux le concept de la Révolution ; la guerre a légitimé la prise du pouvoir par le parti unique ; ayant pris tous les leviers, le FLN a imposé le récit officiel de l’histoire ; la scission entre le FLN et l’ALN a conduit à la guerre civile de 1990. Le pays a été détruit.

Les réalisateurs de cette émission ont certes mené à bien une large recherche de témoins , mais le résultat n’est pas à la hauteur des ambitions, il appelle de nouveaux débats.

Maurice Faivre, historien militaire, Académie des sciences d’outremer, le 1er août 2011.


(1). Les travaux scientifiques du professeur JP Brunet sont ignorés (une dizaine de victimes certaine, une vingtaine possible, trente au maximum).

(2). Dans l’arme secrète du FLN (mauvaise traduction de son livre), Connelly prend pour argent comptant des erreurs qui nuisent à son objectivité : les viols systématiques, le bombardement des villages, les regroupements affameurs, la loi du talion en août 1956, les estimations de Teitgen pour la bataille d’Alger, les 200.000 morts déclarés par de Gaulle, les 250.000 réfugiés au Maroc et en Tunisie, 200 tués au moins le 17 octobre 1961, les harkis ostracisés pendant des années dans des camps…etc...Il situe le massacre d’Oran le 3 juillet 1962, avec 20 morts ; or c’est le 5 juillet avec environ 400 disparus.

(3). l’auto-défense active de Challe, approuvée par Ely et Debré, était dans la même ligne réformiste que la politique d’association prônée par Robert Lacoste, par les Comités de Salut public, puis par Louis Joxe et de Gaulle, et qui a été abandonnée en raison des ambitions internationales du chef de l’Etat.

(4). leur critique virulente de l’article 4 de la loi de 2005 sur les bienfaits de la présence française ne tient pas compte de l’idéologie républicaine qui a présidé à la colonisation, exprimée par Victor Hugo : «  un peuple éclairé va trouver un peuple dans la nuit  » et réaffirmée de Léon Blum à Messmer. S’agissant du génocide culturel de l’Algérie, on est amené à poser la question : quelle culture ? Est-ce celle de la masse décrite par Mohamed Harbi, qui croit aux fantômes, aux revenants et aux démons ? ou celle du Coran, que l’administration française a favorisé en Kabylie ?


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