Comité de liaison (CLAN-R)

1943-1944 : les Français dans la Campagne d’Italie : La victoire du Garigliano.

dimanche 27 mai 2018

«  Le Garigliano est une grande victoire. La France le saura un jour. Elle comprendra « a déclaré le général Juin à ses officiers le soir de son départ d’Italie. La campagne d’Italie fut dure et le coût humain élevé. Elle est de ces mémoires quelque peu "oubliées", alors que les soldats du Corps expéditionnaire français ont, selon les propres mots du général américain Clark, " ajouté un nouveau chapitre d’épopée à l’histoire de la France".

Les combats menés en Afrique, après la défaite de 1940, pour tous les Français décidés à combattre pour la liberté sont plus gravés dans les mémoires que les batailles livrées lors de la campagne d’Italie. La victoire que fut la prise de Rome dans la nuit du 4 au 5 juin 1944 pâtit du retentissement du débarquement en Normandie, qui allait occulter la gloire des combattants d’Italie pendant de longues années, avant que ne soit donné, en 1966, le nom de "Pont du Garigliano", à l’ouvrage qui remplace sur la Seine le vieux viaduc d’Auteuil.

Pour les Français de métropole, l’année 1944 a été celle du Jour J et du début de la libération et, dans leur euphorie, ils oubliaient que depuis un an l’Armée française se battait dans la péninsule italienne. Pourtant, le Corps expéditionnaire français (C.E.F.) fit preuve de ses qualités, et ses chefs surent convaincre des Alliés sceptiques depuis la dramatique campagne de 1940. Les combats se sont déroulés dans les pires conditions : cohésion encore vacillante, campagne d’hiver, guerre en montagne et ennemi rodé par quatre années de guerre.

Ce contexte ne donne que plus de valeur à l’assaut du Belvédère (février 1944) ou la percée des Monts Aurunci (mai 1944), mieux connue comme bataille du Garigliano, où le général Juin réussissait à faire traverser cette rivière à ses quatre divisions et à les pousser dans la montagne pour percer la Ligne Gustav et s’ouvrir la route de Rome. Ces actes héroïques et mal connus vont être évoqués ici au travers des unités françaises engagées en Italie, le terrain et l’adversaire, ainsi que les opérations qui vont les mener à travers l’Italie Centrale, de Naples à Sienne en passant par Rome.

Dans le cadre du Plan d’Anfa, décidé par Roosevelt et Giraud en janvier 1943, cinq divisions d’infanterie sont progressivement mises sur pied à partir des unités de l’Armée d’Afrique -qui a déjà participé à la campagne de Tunisie- , des troupes coloniales venues d’Afrique Occidentale, et des forces de la France Libre arrivant du Moyen Orient ou de l’Afrique Centrale après deux ans de guerre. Si les éléments de la 4e Division Marocaine de Montagne (DMM) du général Sevez participent à la libération de la Corse (septembre-octobre 1943), la première grande unité engagée en tant que telle est la 2e Division d’infanterie Marocaine (DIM) du général Dody qui arrive à Naples fin novembre 1943 et rejoint le front au sein de la Ve Armée américaine du général Clark. Puis la 3e Division d’infanterie Algérienne (DIA) du général de Montsabert débarque fin décembre.

Après les durs combats d’hiver, elles sont rejointes fin février par la 4e DMM et la 1ere Division de Marche d’infanterie (DMI) du général Brosset, plus connue comme 1ere Division Française Libre (1ere DFL). La dernière grande unité, la 9e Division d’infanterie Coloniale du général Magnan, sera engagée, plus tard, dans la conquête de l’Ile d’Elbe. Ces quatre divisions sont subordonnées au détachement d’Armée A, confié au général Alphonse Juin, qui transforme cette appellation en Corps Expéditionnaire Français (CEF) en Italie par souci de modestie et de discrétion. Le général Clark a décidé d’engager dans la montagne les unités françaises dont les soldats nord-africains sont aguerris à ce type de terrain.

Fin 1943, le front allié s’aligne entre Gaète sur la Méditerranée et Pescara sur l’Adriatique, par une série de points hauts (Monts Aurunci, Monte Cairo, Monte Mincetto, etc.), et le verrou de Monte Cassino qui commande la vallée du Liri vers Rome. Les monts Apennins sont un véritable imbroglio de chaînons tantôt parallèles, tantôt divergents, donnant une profondeur avantageuse pour la défense allemande. Celle-ci est confiée au feldmarschal Albert Kesselring qui a sous ses ordres la valeur de dix divisions, dont la solide 1. Fallschirmjäger (Chasseurs parachutistes de montagne). Il a l’avantage d’être en défensive, s’appuyant sur un réseau d’obstacles, de destructions et de champs de mines, formant la Ligne Gustav (au contact) et la Ligne Hitler (au sud de Rome).

A peine débarquée, la 2e DIM rejoint le 6e Corps américain et est engagée, le 16 décembre 1943, contre le massif du Pavitano puis contre le Monna Casale, enlevés par le 5e Régiment de Tirailleurs Marocains (RTM), le 8e RTM s’emparant, lui, de la Mainarde le 26 décembre. Les pertes sont lourdes (300 tués au 5e RTM), mais ce premier résultat rehausse l’image des Français auprès des Américains. La 3e DIA est alors engagée dans le secteur de Venafro, au nord de Cassino. Son 4e Régiment de Tirailleurs Tunisiens (RTT) s’empare du Belvédère et du Colle Abate dans des combats acharnés, prenant, et reprenant pitons et villages, entre le 25 janvier et le 1er février.

Ses trois régiments ont chèrement payé leur victoire : 1 500 tués, dont son colonel, au 4e RTT. L’adversaire, la 5e Fallschirmjäger s’est défendue avec fermeté. Cependant, l’absence de réserves enpêche d’exploiter ce succès. Dès lors, les Allemands surveillent avec attention les secteurs où les Français sont signalés. Les deux divisions sont remises en condition et le CEF se complète avec les 1ere DMI et 4e DMM, tandis qu’en février-mars 1944, les assauts obstinés de la Ve Armée américaine contre Monte Cassino restent vains. Dès janvier, le général Juin a compris que pour s’ouvrir la route de Rome, il faut, non pas attaquer de front, mais manoeuvrer et passer par une zone où l’ennemi n’imaginerait pas que l’attaque puisse se produire.

Tel est le cas des Monts Aurunci, au nord du Garigliano, où les Allemands n’ont pas un dispositif aussi serré et puissant que sur le Rapido. C’est donc là que, dans sa note à Clark du 4 avril 1944, le général Juin suggère que se fasse l’effort allié et que celui-ci soit confié au CEF dont les troupes sont bien adaptées aux terrains difficiles et assez aguerries pour être engagées utilement. Clark agrée aux suggestions de Juin et, dans la plus grande discrétion, le CEF relève le 10e Corps d’armée britannique, tandis que se mettent en place les appuis d’artillerie, les moyens de franchissement, les dépôts de munitions et les unités de second échelon.

Dans la nuit du 11 au 12 mai, l’attaque est lancée après une puissante préparation d’artillerie de 2 400 tubes de tous calibres. L’abordage est rude. La 71e Division d’infanterie allemande se défend jusqu’au soir où Castelforte est enlevée par la 3e DIA et le Monte Faito par la 2e DIM. Il faut maintenir la pression sur l’ennemi qui rompt après deux jours de combats sans pitié : le 13 mai, San Andrea, Girofano, Cesaroli et le massif du Monte Majo sont conquis.

Pendant ce temps la 1ere DFL nettoie la boucle du Garigliano et se présente sur la rive droite du Liri. Le massif du Monte Petrella est le dernier obstacle de la Ligne Gustav à faire sauter. Formant le "Corps de Montagne" sous les ordres du général Sevez, avec la 2e DIM et les Tabors Marocains du général Guillaume (1er, 3e et 4e Groupements), Alphonse Juin les lance dans la bataille. L’objectif est entre leurs mains le 15 au soir. Dès lors, il faut avancer vers Rome. Le CEF maintient le rythme du combat par la relève systématique des divisions de tête par le second échelon après trois ou quatre jours d’engagement. La 3e DIA et la 1ere DFL arrivent aux portes de Rome. Mais, alors que le CEF est très en pointe, des arguments de prestige veulent que Rome soit libéré par des unité américaines.

L’entrée dans Rome a été occultée, on l’a dit, par le Débarquement allié en Normandie. Une parade triomphale, le 11 juin, marque la victoire alliée et le général Mark Clark pourra écrire "Je suis fier que le CEF appartienne à la 5e Armée">. Puis ce sera la remontée vers Florence et l’Arno. Les 3e DIA, 1ere DFL et 2e DIM, restées en tête, se heurtent à un combat retardateur mené par les unités allemandes et achèvent leur campagne d’Italie à Sienne, le 2 juillet. En effet, les divisions du CEF sont retenues pour participer au Débarquement de Provence, et le 23 juillet, le CEF sera dissous en tant que tel. Le général Edgard de Larminat succède à Juin à la tête des "éléments français de la 5e Armée américaine".

Les unités françaises, retirées de la ligne de contact au pied des Abruzzes, gagnent les zones de regroupement dans le sud de l’Italie. Elles sont relevées par des unités indiennes, néo-zélandaises ou polonaises.

La Campagne d’Italie du CEF aura offert à la France, l’occasion de prouver aux Alliés, mais aussi, et surtout à elle-même, qu’elle demeurait une grande nation.

Colonel (ER) Jacques Vernet
Docteur en Histoire

Les Chemins de la Mémoire
Direction de la Mémoire, du Patrimoine et des Archives (DPMA) n° 138 / 04-2004

Les Français dans la campagne d’Italie
La campagne d’Italie

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